Jean-Loup Seban, La Bouquineuriade, A Bruxelles, chez Robert Clerebaut, imprimeur.
L’on dit communément que la philosophie est de la poésie sérieuse, tandis que la poésie serait de la philosophie légère. Après avoir donné Désirs apollinaires, il était naturel que vînt Bouquineuriade, un luxueux volume de 250 pages, composé (ceci dit pour les amateurs de livres précieux) en caractère Didot de Hoefler & Co, imprimé sur papier Munken Print bouffant , par les soins du maître imprimeur Robert Clerebaut de Bruxelles, et comprenant 106 poèmes qui eussent fait merveille au temps des salons. Ils célèbrent la gloire des quatre parties du jour: le Matin, le Midi, le Soir et la Nuit. Ce délicieux volume est abondamment illustré de gravures et vignettes d’époque; il se termine par une Épître à Bacchus, suivie d’un sizain en guise d’envoi tout imprégné d’euphuïsme et relevé d’un aimable humour qui se prend à partie.
Froidure héliconide
Le Pinde grelottait par la faute à Borée!
Malgré tous les quintaux de bois de ses vallées,
On ne sentait le chaud. Apollon dit aux Sœurs:
Brûlez les mauvais vers des mystificateurs,
Ceux de Seban surtout, vrais pavots de Morphée;
Aussitôt reviendront Terpsichore et Orphée!
Très bien! Mais que dit le poète? Il proteste qu’il n’est pas poète. Serait-ce accès de timidité ou bien excès d’orgueil? « Non, Messeigneurs, je ne suis pas poète. Pitié! » Ou bien, « Moi, me compter au nombre des poètes crottés? Non, mais des fois! » Il se veut poète didactique, à l’instar de Louis Racine et de Roucher. C’est-à-dire versificateur. Le poète est un être inspiré, un quasi penseur: le versificateur est un virtuose. Le poète est un rejeton des dieux; le versificateur un amant des Muses. L’un s’élève à l’octave du sublime, l’autre se contente d’un souffle de parfait. Le poète est un inventeur de genres et de modes; le versificateur est le conservateur des traditions. Et, à une consonne près, il serait vérificateur. Le vérificateur de la plénitude et de l’homophonie. Bref, un technicien du style. Ah! ce titre, par exemple, ne lui déplairait pas!
Oui, mais que raconte-t-il? Suivant sa terminologie « la liturgie des jours ». Nous voici donc en plein bréviaire? C’est un peu cela! C’est le livre de l’office des vivants. On est convenu n’est-ce pas que la vie est un grand repas pris en commun dans la maison de « l’humanitairerie » comme parlait Musset. L’auteur ne s’approche de la table stéphanophore qu’en invité lointain, cautement, et le dernier parmi les convives.
Serait-il un peu misanthrope? Il se peut, mais c’est pour avoir trop aimé les hommes, comme certains démocrates ne critiquent la démocratie que parce qu’elle n’est point aussi parfaite qu’ils voudraient. Assis au bas-bout de la table, comme un serviteur, il accepte ce qui lui est départi, sans réclamer aucune soulte. Il y ajoute seulement de son génie, lequel se substitue à la chose donnée pour devenir séjour au milieu des mythologies des siècles classiques. Replié en lui-même, ou bien plutôt secret comme une demoiselle, notre auteur, bien qu’il fût le plus galant des hommes, vit dans un univers fermé peuplé de fables, de sonnets, de madrigaux et d’odes. Il chopine avec les grands rhétoriqueurs: il converse avec Delille, moralise avec Duclos, épigrammatise avec Gresset et son perroquet, philousophe avec Voltaire. Et quand Hélène paraît naissent d’autres désirs…
De Cythérée nous vient ce Code de l’amour
Que l’Enfant promulgua, vénusien martyre,
A tous les citoyens de son aimable empire,
Pour régler les soupirs et fleurir les discours.
(…)
Au tribunal d’amour, l’Enfant de volupté
Ordonne à la hautaine ainsi qu’aux laiderons
De prendre amants en nombre parmi les jolis blonds.
(Le Code Vénusien)
Jean-Loup Seban, bien connu dans les milieux des lettres bruxellois, est un homme du XVIIIe, dont il s’est approprié le style si naturellement que ce serait outrage de parler de pastiches. Entre son style et lui, il n’y a aucune différence. L’un et l’autre sont tout un. Il fait souvenir d’un illustre prédécesseur, l’académicien français Yves Gandon, qui fut célèbre pour son Démon du style, et une suite de romans qu’il donna dans le goût du XVIIIe siècle: Le Pré aux dames. Cet apparentement n’est pas de la roupie de sansonnet. Cela n’est pas pipette comme aurait dit Mauriac. En ces poèmes, qui sont comme on le dit en musique des variations sur des thèmes donnés, on reconnaît tout l’homme Seban, que chacun, ici, a eu l’occasion de croiser, courtois, enjoué, d’une suprême élégance tant dans sa mise que dans sa tournure d’esprit et dont toute la philosophie pourrait se résumer à celle de Byron: Le bon et le mauvais s’équilibrent assez bien dans cette vie, et ce qui est le plus désirable est d’en sortir sans trop de peine. (Lord Byron, par Daniel Salvatore Schiffer, Gallimard – Folio)
Marcel Detiège