Noëlle Lans, Instants révélés, poèmes, éd. M.E.O. Encres de chine: Mireille Dabée; préface de Michel Joiret.
Un livre-miroir, un livre-témoin, pour ceux qui connaissent un peu l’auteure. Ses caractéristiques? Pas facile de faire le portrait de quelqu’un, que ce soit en prose ou en vers; et les gens qui paraissent très simples, très « lisses » dans la vie quotidienne, révèlent bien souvent des profondeurs insoupçonnées. Elle le dit elle-même, en cette belle formule, p.13: Elle s’habille de ceux qu’elle aime (…) Pas facile d’être soi du premier coup!/Et quand l’est-on?/L’est-on jamais? Peut-être est-ce par la bande, dans les propos de Michel Joiret, dans les encres de Mireille Dabée, qu’on la découvrirait le mieux. Mais c’est à elle, grandeur nature, que nous avons à faire. Et là, chaque question, chaque exclamation augmentent le doute, l’incertitude. p.14, à propos d’un regard qui était là: Ne pas lui écrire. Ne pas le dessiner. Ne pas lui dire./Ne pas laisser de traces. Ne pas le guetter. Ne pas se lever./Ne pas aller à sa rencontre.
Un sens aigu de l’improbable, du fugitif, de ce qui semble s’effacer tout en laissant les traces les plus vives et les plus profondes. Comme si la vie, soudain, d’horizontale et monotone qu’elle était, se creuse et s’élève à la verticale. Comme si la fuite du temps, incessante, inexorable, brusquement devient l’éternité d’un instant. Comme chez ces premiers philosophes, en Grèce, qui remettaient tout en doute, déroulaient la vie fugitive comme le cours d’un fleuve, et puis soudain la faisaient étinceler de lumière. Tout coule, tout nous dépasse, mais rien ne se perd. La vieillesse est en marche, nous dit-elle p.25. Et ce passage superbe: Elle est seule à tanguer doucement vers la mort/avec son poids d’égratignures et de racines.
Un ton à la fois familier, par son questionnement, et mystérieux par l’emploi constant de ce « Elle » – un « je », un « jeu » avec lequel on prend ses distances, une volonté de creuser, d’aller jusqu’au fond des choses, là où cela fait mal (car « je » est un autre, c’est un « je » qui n’a pas cessé de se modifier), et le refus de rester à la surface, de ne pas aller plus loin. Et les raisons de ce jeu sur le je? Non, elle ne se désigne pas. Elle anticipe, simplement. C’est qu’elle voyage à l’intérieur d’elle-même. Par ses illustrations, Mireille Dabée a merveilleusement saisi le sens du livre. Des branches qui ressemblent à des racines d’arbres, d’étranges tests de Rorschach entre extase et piétinement.
L’amour des commencements, mais, jusqu’au bout, la brûlure du désir. L’eau et le feu. Les contraires, bien sûr. Evoquant le début, on en revient à la fin. Dès qu’ils ont fleuri, les prunus prennent déjà des allures d’automne.
Fallait-il cette déchéance quasi immédiate de toutes choses belles, y compris celles qui sont en « elle », pour atteindre au vide absolu qui permet le surgissement d’une autre beauté, plus intrigante et solitaire?
Peut-être est-ce dans l’invisible que tout est vrai? nous dit-elle à la fin. Et, comme un écho répond la voix de Michel Joiret: En quoi la solitude ainsi révélée l’invite-t-elle, a contrario, au dialogue et au partage?. Et puis, un petit démon malin (un clin d’œil de Mireille?) semble nous dire à la fin des fins, au bout de la plage et de la page: C’est elle, c’est bien elle, c’est toujours elle. Je l’ai reconnue à sa casquette.
Joseph Bodson