Françoise Lison-Leroy, Le silence a grandi, poèmes, Rougerie, octobre 2015.

Ce beau recueil, d’une grande simplicité (c’est un peu la marque de fabrique de Françoise), est dédié au poète Paul André, décédé en 2008, qui a écrit et publié des recueils aussi bien en picard qu’en français.

Je ne l’avais pas réalisé d’emblée: dès le titre, elle joue à la fois sur les éléments auditifs (le silence), et sur ceux qui concernent la distance, l’éloignement. D’habitude, cet éloignement fait paraître plus petits les êtres et les choses. Ici, au contraire, c’est comme si ce silence leur donnait une nouvelle dimension, les rendant plus proches de nous, et comme doués d’une épaisseur nouvelle, leur forme définitive.

Passé le tourment gigantesque, l’heure est venue de forer la présence. Nous avons peu de temps pour rassembler les ors, les jeter dans l’écrin que la fièvre a quitté. Qu’il les prenne avec rage, avec ce cri fendu qui mord toute poussière. C’est ici, dans l’urgence arrêtée, que l’offrande se noue.

…où nous retrouvons à la fois la violence du départ, le geste ouvrier (forgeron, orfèvre comme semblent l’indiquer les gestes et l’outil), et la transmutation de la vie, de l’œuvre intimement mêlées par une violente alchimie – celle, justement, de l’urgence arrêtée.

Et, plus loin: En route. Nous laissons là le gisant de pierre douce. Il ne pèse rien, n’exige rien. Le voilà plus loin que nous, balayant devant nos portes. Nous le veillerons à travers opéras et comptines; cantates et berceuses. Une cadence nous tiendra lieu d’accord.

Je suis déjà sur l’autre rive, écrit Nietzsche. Ils s’éloignent, mais en avant de nous, et non en arrière. Ils nous préparent la route, balaient le seuil. Et si le gisant de pierre, comme le gisant de chair, a besoin d’être veillé, il le sera par la musique, toutes les musiques. Voici la grande réconciliation.

Ainsi, toutes les choses qui nous restent obscures encore, cachées au fond de l’être, se trouvent éclairées, baignées de métaphores comme d’une douce lumière. Toute démarche est chant, et tous nos gestes, y compris celui d’écrire, sont des gestes d’ouvrier, d’accomplissement, et de grande liberté: Nous voilà adossés au néant, prêts pour l’autre aventure. On ne saurait, à un poète, adresser plus bel hommage.

Joseph Bodson

 

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