Dominique Aguessy, Fragments d’archives sous la neige, poèmes, éd. du Cygne, 2016.
Comment situer ce recueil par rapport aux précédents recueils de Dominique? Bien sûr, du temps a passé, entraînant avec lui bien des souffrances, des épreuves. L’oubli cherche un passage entre vide et flammes, nous dit-il en page 9. Mais c’est comme si sa poésie, à l’épreuve de cette souffrance et de cette absence, s’était épurée, ramassée sur l’essentiel, débarrassée des scories du quotidien pour prendre goût d’éternité. Une image vive, formant à elle seule la dernière strophe de chaque poème, en est aussi la synthèse, ramassant tout ce qui vient d’être dit en un geste définitif.
Une poésie de combat, un combat très pacifique, dont le seul but est de retrouver la réalité, la vérité cachée sous les couches de sédiments qui les ont recouvertes. L’activité poétique, c’est un peu aussi une archéologie, où l’on progresse centimètre par centimètre. Mais c’est aussi une insurrection, p.19:
Insurrection des mots/arrachés à l’engourdissement/au crissement de syllabes malmenées//les émotions s’agrippent/aux symboles par défaut/le plain chant libère une cascade//des souvenirs de paradis perdu/s’abreuvent à la source des larmes/sans égard pour le présent en embuscade//le poème pourfend le masque/des faux-semblants/des cloisons artificielles//la lucidité trace d’autres chemins/par où se glisse la naïveté/d’un retour à l’innocence//l’abandon des privilèges de l’enfance
On notera au passage, p.35, une critique sévère de la « web culture »; et, p.36, le désarroi devant la violence: la nuit entre par effraction dans les maisons. Avec, malgré tout, une profession de foi en l’avenir, p.39: nous survivrons aux désastres, et aussi p.50: dans le creux de la main/la chaleur d’une poignée,/illumine une journée. Enfin, p.67, la musique, comme la poésie, est un remède à la désolation du monde.
Un rythme savant assuré par la succession de quatre vers/un vers, parfois par la répétition insistante des termes, pareille à une incantation, tout au long d’un poème.
Poésie engagée? Oui, bien sûr, mais où l’engagement, nulle part, ne fait obstacle à la beauté du texte. Bien au contraire, un engagement qui forme la chair même du texte, la texture, et le nourrit, comme une source de métaphores: les fragments, les archives, la neige, chaque mot, ici, chaque image, renvoie à une réalité vivante.
Joseph Bodson