Ludovic Flamant, Passagers, ill de Jeroen Hollande, éd. Esperluète, 2018.
Au début du livre, une dédicace de l’auteur:Tous ces portraits ont été imaginés dans le métro bruxellois, en regardant les gens. Je souhaite les dédier aux victimes de l’attentat du 22 mars 2016 à Maelbeek.
Et je puis vous assurer, après avoir lu le livre, qu’il ne s’agit pas là, comme c’est trop souvent le cas, d’une publicité déguisée. Non, il s’agit seulement de ces gens anonymes, interchangeables, qui bien souvent ne nous voient pas, ou que nous ne voyons pas. Interchangeables. Mais pourtant…Il suffit de les regarder, de bien les regarder, pour qu’ils redeviennent des êtres vivants, d’un seul regard, par la grâce d’un sourire. Etranges étrangers. Venus de si loin, du bout du monde, et qui sont là, tout près de nous, à nous côtoyer. Le métro, cet étrange château de la Belle au Bois Dormant. Les couleurs un peu passées, un peu pâles, un peu grises, des dessins de Jeroen Hollander. Tout ce qu’ils ont à nous dire, à nous raconter…
Il s’essuie avec sa casquette,/ Il ‘essuie la bouche et il s’essuie le front. / Il transpire. Comment fait-il pour avoir chaud ici/ quand tout le monde porte un bonnet?/ Ses yeux se ferment à moitié/ de fatigue et de vieillesse./ Il s’endort/ et sa lourde montre en or/ brille à son poignet./ C’est une montre en provenance de la Sicile/et que lui a donnée son cousin il y a bien longtemps/ sur la place Bellini, un treize août,/ pour un service rendu/ C’est l’or de la Sicile./ C’est le temps de la Sicile/ C’est là-bas qu’il va quand il s’endort/ C’est là-bas qu’il transpire,/c’est ici qu’il s’essuie.
ou bien encore:
Elle porte/ un jardin complet sur ses genoux/ et dans ses mains en coupe, on pourrait./ mettre un peu d’eau peut-être./ Pour nourrir les fleurs./Quant au soleil, il est/ comme un grain de beauté/ au-dessus de sa lèvre.// A chaque moment, elle caresse le monde.
Oui, s’il nous arrive, parfois, de lever les yeux, de caresser le monde, ces gens qui nous entourent, dans le métro, c’est tout qui prend couleur, et qui se met à vivre. Cela tient à nous, à peu de chose. Une esperluète, un lien ténu qui se crée. Et la haine qui, très lentement, très légèrement, se retire, pour faire place à autre chose…Plus est en nous.
Joseph Bodson