Compagnons d’engagement pour Christian Duray.
Christian Duray est né en 1956. Sur sa carte de visite, on pourrait retrouver cette liste qu’il a lui-même établie et dont voici l’essentiel : « Courcellois à flanc de terril, Carolo de tripes et de brasiers, squatter à Montignies/sur/Sambre et à Mons, Thudinien de passage, résidant à Chârlèrwoè North, navigateur dans un moulin à eau en bord de Sille sur le point d’amarrer, autodidacte, ouvrier en carrière et blanchisserie, terrassier, laveur de vitres, organisateur de concerts de Jazz Hard-Bop et Free, nomade de l’Éducation permanente, taupier occasionnel du cloaque judiciaire belgicain, pamphlétaire en rage, chroniqueur de combats légitimes et de balle pelote (une récréation), transporteur et compagnon d’Infirmes Moteurs Cérébraux, « anarchiviste » bouquiniste, Père et Grand-Père. » Ajoutons qu’il fit aussi partie du Big Band des littératures féroces avec ou sans dents en compagnie de Frédéric Saenen, Vincent Tholomé et Laurence Vielle.
À l’occasion de la sortie de son livre «Jamais trop, toujours plus », témoignage multiforme de son existence, il a rassemblé autour de lui quelques créateurs compagnons dont les œuvres attestent des visions particulières du monde.
Au bout des pinceaux
Joseph Chatelain pratique une abstraction plus ou moins géométrique. Le monde y est assemblage de fragments qui s’agencent de manière à chevaucher une autre forme. Mais cette superposition de surfaces ne cherche pas à cacher ce sur quoi elle s’appose. Il y a des translucidités qui permettent au couleur de l’une de laisser percevoir celle de l’autre. C’est un univers poreux dans lequel cohabiter appartient à la normalité. Point de conflit, ici. Plutôt coexistence pacifique d’espaces complémentaires.
Avec les œuvres d’Eric Jacques, nous abordons des rivages esthétiques assez cousins de ceux d’Armand Simon ou de Serge Poliart. Le trait est torturé. Il emprunte sa virulence à l’expressionnisme, sa verve à une ironie grinçante, sa liberté à l’art brut. L’humanité qu’il dépeint se débat contre une misère aussi bien existentielle qu’économique ou idéologique. Ses ‘burqs’, sculptures composées d’éléments récupérés, s’inscriraient aisément dans une filiation historique liée à Jérôme Bosch.
Benoit Piret offre de grandes surfaces pleines de verve visuelle. Ses représentations s’étalent sur des feuilles utilisées lors de réunion de travail en marketing, publicité ou autres. Au-dessus des notes et schémas synthétisant ce qui s’est passé, l’artiste appose des scènes liées à nos actualités : migration, violence, massacre d’animaux… Son sens de la couleur et la virtuosité de la forme figurative donne une force visuelle à ces affiches uniques d’un genre pastichant les pratiques publicitaires. Ses bouteilles jetées à la terre (en allusion à celles jetées autrefois à la mer) sont autant de messages polychromes à déchiffrer au milieu de la jubilation des coloris.
Marc Pierret a réalisé des montages dans lesquels s’insèrent des balais. Le fond est un fourmillement tachiste agrémenté d’une phrase en langue étrangère. La brosse est un outil de la servilité, voué à travailler dans le poussiéreux ou le sale, un boulot réservé aux immigrés venus effectuer ce que les indigènes ont fini par trouver indigne d’eux ; mais elle s’associe également à la sorcellerie. L’ensemble pictural, réaliste par la présence des objets, rappelle la condition misérable des préposés à l’entretien. Cela prend doublement portée symbolique quand les mots signalent que ces instruments ménagers ont été volés, comme si, pour en parler, il fallait passer outre des consignes de clandestinité. Il est vrai, au surplus, que, dans le langage courant « donner un grand coup de balai » n’est pas une expression innocente.
L’objectif subjectif
Jean-Yves Dal est photographe. Ses sites ne sont jamais restitués avec un sens précis du détail. Ils sont présentés tels que devenus sous les traitements que l’homme fait subir à son environnement. Ils apparaissent ou transparaissent au sein d’une sorte de brume hantée par de fantomatiques présences de terrains, de routes, d’habitations, voire de personnages. Subsistent d’abord les formes essentielles, celles qui permettent une reconnaissance approximative mais néanmoins évidente. À ceci près qu’il n’est guère question d’une localisation particulière ; plutôt une sorte d’élément géographique commun à n’importe quel endroit anonyme de notre planète. Fusion en quelque sorte dans une même pollution mondialisée.
Pierre Kahn, lui, a photographié Charleroi et ses environs. C’aurait pu être n’importe quelle agglomération industrielle ou post-industrielle. Sa manière d’utiliser la lumière, de cadrer chaque cliché transforme la cité en un lieu mystérieux, aux atmosphères étranges propres à suggérer des histoires fantastiques où tout deviendrait possible dans une réalité transcendée.
Plume et crayon pour papier
Les dessins à la plume d’André Dael sont eux aussi liés au fragmentaire. Ils sont composés de traits fins accumulés, plus ou moins denses selon la volonté de l’artiste de jouer avec la clarté de la lumière ambiante selon la météo autant que le moment du jour ou de l’année. Ce sont des paysages souvent conçus comme des panoramas formés d’une suite de tableautins indépendants les uns des autres mais formant un tout lorsqu’on regarde l’ensemble, né comme sorti d’un puzzle. Le réalisme s’avère alors poétique, chaque trait, chaque surface remplie finissant par se présenter à la façon d’un lieu nourri par le végétal, le nuageux, l’aquatique, le terrestre.
De Robert Wazelle, il n’y a qu’une gravure. Elle s’intitule « Proclamations confuses » et parvient avec une rigueur graphique certaine à rendre la difficulté de discours sans doute politiques, sur des murs qu’on devine d’usine, mais qui pourraient être de proclamations imprimées, de tags divers dans des typographies complexes. À proximité, un discret hommage au regretté Ghislain Olivier et à ses mini-livres des Editions de l’Heure auxquels s’ajoutent des dessins automatiques réalisés une nuit musicale festive.
Tout cela s’inscrit également auprès de divers documents qui sont des témoignages en souvenir des personnes décédées ayant rapport avec la vie de Christian Duray et de l’histoire ouvrière de la région de Charleroi. Cela reste visible jusqu’au 23 juin 2019 au Centre culturel de Thuin Haute-Sambre, 32 rue des Nobles à Thuin (071/59.71.00 ou http://www.centrecultureldethuin.be/ )
Michel Voiturier (11.06.2019)