Au Pays des Mots à Sons
de Paul Guiot éditions le chat polaire (2020, 12 euros)
Paul Guiot est un faiseur de mots qui, pourtant, existent déjà autrement. Au pays des sons, les syllabes, bousculées, semblent pivoter sur elles-mêmes : « Les animots vont et viennent comme bon leur chante, méditant liberté, ruminant livresque d’une vie de poème ».
On devine le mot sorti du meuble qui habite la chambre cérébrale à faire des siennes.
Ce n’est pas pour rien que le poète cite le grand Norge en exergue de son ouvrage traitant, en grande partie, de la musique des mots : « S’en aller en chantant/ recueillir les plus beaux/ mots à sons de l’été/ est diction vitale/ bénédiction orale/ addiction verbale ».
Gros travail lexical sur la langue, ces textes rappellent le sens premier des gestes humains évoquant l’agriculture, le sol, la terre, ramenant le contexte aux fondements créatifs essentiels puisqu’ « En travaillant le chant/ d’arrache-pied/ il faut tenir la note/ sur la plus haute branche/ Il faut tenir la note ! / Il faut tenir la note/ jusqu’à ce qu’ainsi sittelle ».
Avec des double-sens efficaces, Paul fait mouche à tous les coups. Il lui faut parfois très peu de mots pour en dire long et surtout d’une manière neuve : « Cette année/ le soleil a donné /autant qu’il a plu » illustrant parfaitement le genre de raccourci contractant les mots dans l’espace que l’auteur maîtrise au son près. Il ne s’agit pourtant pas d’un genre d’aphorisme. Il y a un côté philosophe très sérieux dosé d’un surréalisme burlesque confinant à la gestuelle théâtrale sans pour autant que cet art particulier ne doive être absolument exprimé oralement. En effet, dans certains textes, la position des mots suggérant le calligramme nécessite l’œil, la vision dans l’espace carré de la page.
Les mots ont ainsi leur vie propre à perdre une lettre ou une destination pour se rendre vers une autre gare que l’idée exprimée initialement, le lecteur se plaisant aux aiguillages à tenter, in extrémis, un autre parcours de lecture.
L’auteur s’adresse parfois à une tierce personne complice qui semble partager la vivacité de l’instant en totale connexion amoureuse des mots.
Que dire de plus de ces poètes dont « On ne sait que trop/ ces barbares/ sont de parfaits syncrétins/ partis croiser le vers/ depuis la nuit des temps plumitifs ! » ? L’allusion au syncrétisme en dit long sur l’intention de l’auteur de mélanger les genres.
Entre surréalisme et dessin en cours d’achèvement suggérant sans doute le son suspendu tel un Icare qui chercherait le mot juste en tentant d’amortir sa chute, Gwen Guégan illustre bellement le moule à sons avec un certain brio se calquant avec justesse sur l’instrument musical et inventif du poète.
Patrick Devaux