Claude Donnay La femme bleue poèmes en prose éditions Le chat polaire (82 pages, 12 euros, 2023)
L’auteur active un processus de couple, dans un genre entre poésie et prose, en quelque sorte en observation d’un couple vivant plutôt en parallèle qu’en harmonie, le choix personnel étant lui-même mis en cause :
« Elle a choisi les livres. Pas l’homme qui partage son lit. On signe des contrats en toute naïveté, oublieux des lignes sous les nervures de la feuille, petits insectes, petits caractères, que le temps révèle et qui grossissent jusqu’à occulter le clair du jour ».
On remarque, dès les premières lignes d’ailleurs, le sens descriptif du prosateur mis en équation avec les qualités du poète, comme souvent, également, dans les romans de l’auteur.
Il y a souvent, chez Claude Donnay, dans ses choix d’écriture, un côté humain qui transparaît ; c’est encore le cas ici, pour cette « femme bleue » où un individu nommé « le ténébreux » a le mauvais rôle : « Plus tard dans le four, elle le sait, le gâteau gonflera/ de leurs sourires et des rêves fous qu’ils ont semés/. La ville encore. Son haleine avinée dans les ruelles/. Lui assis à une terrasse ou sur un banc. À lorgner les passantes. En quête d’un regard entre les cils ».
Nul ne sait s’il reste de l’espérance dans la distanciation prise entre les êtres pour espérer autre chose que le désenchantement : « Rien n’éradique le manque. Du liseron tenace qui, /d’un minuscule bout de racine, peuple un jardin, /colonise un champ, remplit un ventre. Et les fleurs blanches, /comme autant de sourires moqueurs ».
Dans cette sorte d’éloignement réciproque, l’auteur utilise de splendides images comme pour, peut-être, susciter à travers son décor à lui, que quelque chose d’autre est possible, tandis que l’espoir émane du personnage féminin : « Elle croit à la grande traversée de l’amour. /Transhumance de chaque fibre de son corps, / de chaque goutte de pluie sur son front, / de chaque désir brûlant comme un vent de sable ».
Tout le talent de l’auteur transparaît dans la façon de se mettre dans la peau de « La femme bleue » avec un certain talent, le titre suggérant, par ailleurs, peut-être des bleus à l’âme ou au corps, bleus d’un autre genre encore : « Elle n’a plus peur. /Tâte sa blessure. / L’offre au ciel, qui la suture d’un nuage clair ».
« Que penser des corps tenus à distance ? » Voilà bien une partie de l’enjeu tandis que la distance se manifeste, de fait, de toutes les façons possibles tandis que « le ténébreux », lui, se demande s’il « reverra un jour la femme bleue… » On ignore de qui tout cela dépend mais le lecteur se fera sa propre idée.
Patrick Devaux