Pierre Coran , Ciels d’Ostende poèmes l’Arbre à paroles, 2024, 84 pp., 13 €
Dès le début, le ton est donné : la citation de Supervielle (Elle est ce que nous sommes / Lorsque nul ne nous voit), appelant celle, plus connue, peut-être de Baudelaire : Homme libre, toujours tu chériras la mer), et puis ces ciels, qui sont ceux de la peinture, et de Turner (mais aussi, au fil des pages, se souvient- on des tableaux de Monet représentant la cathédrale de Rouen) – et ce sera, très vite la parenté du ciel et de la mer, et chacun de ces textes précieusement ciselés peut apparaître, comme chez Monet, ou comme chez Cézanne avec ses pommes, une volonté non point d’épuiser le sujet, mais de l’épier, de l’observer avec amour, de s’y investir, et, en fin de compte, de s’y trouver, ou de s’y retrouver.
Pierre Coran, mine de rien, est un grand sorcier, et il a plus d’un tour dans son sac. Ainsi, sans trop vouloir faire de critique stylistique, remarquera-t-on, dans certains de ces poèmes, une strophe, un vers, un nom, qui reviennent en écho, comme dans une chanson (ainsi, p.32 : Il pleut sur la mer, premier et dernier vers du poème ; p.60, reprise de : Il neige sur Ostende ; p.65, de : La tempête a sévi).
J’ai été surpris, au détour d’un poème, d’y trouver un tour de main, une façon qui rappellent ceux de Max Elskamp, p.70 : « Revoici la pluie drue /Elle était parvenue / à se faire oublier. // Revoici la pluie drue / et dans le ciel gris perle, / l’été lui fait la haie. // Privilège des nues / sur le rush des marées. » : brièveté du vers, simplicité du vocabulaire, une sorte de modestie dans le langage, de quotidienneté, rompue par le rush de la fin)
Un sorcier, peut-être, mais un sorcier très discret, et surtout attentif au fil des heures, et à celui du temps qu’il fait, du temps qui passe ; attentif aux nuages, aux bateaux, à la ville, aux gens aussi, et qui nous ramène de ses promenades, comme un fagot ramassé sur la plage, des mâts de bateaux, en vrac, des rames, des branches et les poches pleines de coquillages. Qui se plie à toutes les positions, pour mieux observer ce ciel aux couleurs changeantes, l’avancée des eaux, la tombée du soir. Comme si dans tout cela, lentement, subtilement, c’était son être même qui se transmuait, et se perdait pour se retrouver dans ces deux infinis. Avec l’infinie modestie du chercheur curieux, et du sorcier songe-creux : ainsi, dans le dernier poème : « Qu’écrire de plus sur la mer et les cieux / que tout ce que les yeux à l’affût, / ont promu, / coloré, magnifié, / et tout ce que le cœur a perçu, / épuré, jugulé / grâce aux mots, / grâce aux lieux / qui, mieux que des images / ont été par surcroît des signes en partage / proches du songe-creux. »
Oui, décidément, Pierre Coran est un grand sorcier. Mais ne le répétez pas trop : il n’a pas fini de nous révéler ses sortilèges.
Joseph Bodson