Nathalie Roumanès, Tremor cordis, poèmes, éd. Traversées, 2023, 136 pp, 20 €. Calligraphies de la lumière : Tomi.
J’avoue avoir été quelque peu désarçonné à la lecture des premiers textes de ce recueil , marqués, nous dit l’auteure, par le deuil de sa mère : un véritable tourbillon d’images, de couleurs, d’impressions brusques et violentes, tendres parfois et tristes, qui se chevauchent, s’entrechoquent. La syntaxe y est bousculée, sens dessus dessous : une sorte de bouillonnement, d’éruption volcanique, au cours de laquelle tristesse, allégresse, espoirs fous et désespoirs sans rémission se mêlent et se confondent.
Mais en même temps, bien au-delà, au-dessus de la syntaxe oubliée, des paysages qui se bousculent, il y a une telle force dans l’expression, une telle puissance, une telle clarté parfois, en cette lutte contre le deuil, la désespérance…Et tout cela soutenu par de subtiles répétitions, une sorte de refrain en sourdine, qui court et coule tout autour de ces textes…Disjecta membra poetae…un peu de ce monde en fusion qu’Empédocle imaginait en train de rassembler ses éléments épars pour le triomphe de l’amour.
Elle se réclame des meilleurs poètes, Dante et Shakespeare, René Char et Rimbaud. Et, poursuivant cette lecture, dans la suite de ces textes, plus apaisés, à partir de La Complainte du Tout Petit Crayon, c’est à Rimbaud surtout que je pensais, à cet émerveillement confus de tous les sens. Et non point par snobisme et imitation, si réussie soit-elle, mais par une sorte de brusque reconnaissance et de familiarité, « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».
Dans le Bateau ivre, dans la Saison aussi, nous trouvons ces mêmes audaces élémentaires, ces brusques illuminations. « J’ai tendu une corde de clocher en clocher, et je danse », en même temps que ce mélange réussi du langage populaire et du plus docte, marqués fortement de répétitions martelées. Les illustrations s’y allient à plaisir.
Je n’en dirai pas plus. Je vous inviterai simplement, le temps d’une brève citation, de prendre part à ce deuil profond, mais aussi à cette fête du langage, et à ce triomphe de la vie.
« Alionouchka » // Recroquevillée, ramassée /Sur un rocher par promenade / Si quelque poison flotte ici / Aucun appel ne désespère / Les courants et les nénuphars / Laisse ta gorge s’imbiber / Aucun appel ne désespère / Au point de s’en désespérer / Pousse / De toute ta voûte plantaire / Et étoilée. »
« Bretagne et Turennes » // Aux toiles de tes ailes/ C’est l’aérien parcours / De l’étoile qui traîne / Ses voiles, comme le jour / Comme les toits se lèvent / Ailes de toile naine / C’est la traîne du jour / C’est l’aérien parcours. »

Joseph Bodson