Emile Lempereur, Tièsses pèléyes, El Bourdon, Châlérwè, 2024. Boulevard Roullier, 1, 6000 Charleroi, 2024, 80 pp.
Dans sa préface, Jean-Luc Fauconnier signale, à juste titre, que nos auteurs wallons ne sont pas assez souvent mis à l’honneur dans la localité qui les a vus naître. Dans le cas présent, Emile Lempereur, qui fut instituteur à Châtelet, se voit célébré et par le prix Emile Lempereur, créé en 2023, et remis à l’occasion du Fèstival walon di Tchèss’lèt. L’une de ses dernières œuvres était d’ailleurs intitulée Dji vôreu tchanter Tchèss’lèt.
On se fait parfois une idée très négative des instituteurs de jadis et de naguère en s’imaginant qu’ils suivaient tous à la lettre les consignes rendant obligatoire l’usage du français à l’école, même pendant les récréations. Bien au contraire, certains instituteurs ont été en première ligne dans la lutte pour la mise en valeur de nos langues régionales. Ce fut le cas, dans la région de Charleroi, d’Henri Van Cutsem et d’Emile Lempereur, de Georges Fay et Ben Genaux.
Les poèmes d’Henri Van Cutsem furent publiés après sa mort par l’Association littéraire wallonne de Charleroi, en 2002, sous le titre Nôs ârnagas. Ceux d’Emile Lempereur, sous le titre Tièsses pèléyes, en 2007, avec une préface de Willy Bal. Le titre lui avait été inspiré par les Crâne tondus, de Constant Burniaux, qui avait préfacé l’un de ses livres en français.
Jean-Luc Fauconnier souligne très justement la dureté des conditions de vie d’autrefois, telle qu’elle apparait parfois dans ces textes – on est loin du bon vieux temps – aussi bien que le dévouement, l’attachement même que ces enseignants vouaient à leurs élèves. Attachement qui se cachait bien souvent sous le masque d’une sévérité dont nous n’avons même plus l’idée. Ecoutons-le donc : « Sans verser non plus dans la dénonciation d’une société injuste, Emile Lempereur – comme ses trois autres confrères – nous laisse des portraits d’enfants tels qu’il les a connus, tels qu’il les a aimés, avec leurs qualités et leurs défauts, sans jamais se départir d’un humour bonhomme doublé d’une forme d’autodérision, caractéristiques marquantes de la littérature en langue wallonne de la région carolorégienne ».
L’œuvre d’Emile Lempereur, en tant qu’auteur wallon, a d’ailleurs beaucoup influencé les auteurs wallons de sa région, et même de toute la Wallonie : il a traduit en wallon de Charleroi de nombreuses pièces de théâtre du wallon liégeois, et il a plaidé, tout au cours de sa carrière, pour une modernisation de la littérature régionale, aussi bien dans ses thèmes, que dans sa langue, trop souvent entachés de passéisme et d’auto- célébration. Pour une littérature wallonne ouverte sur le monde…
Voici, à titre d’exemple, ou d’échantillon, plutôt, le texte intitulé L’èfant qu’ dj’é stî : Comint c’qui ça s’ fét, comint c’qui ça s’ pout qui dji n’ mi r’trouve né dins yink ou l’ôte di mès rujîles avou, pou lès freuds, mès chabots èt mès tchôssons, mès tchôsses di lin.ne, mès culotes èyèt m’ djaquète di v’loûrs, mi cabosète, mi casse à m’ dos èyèt m’ né qui court ? // Èyu è-st-i èvoye l’èfant qui dj’é stî, pou n’ pus riv’nu qu’ dins mès souv’nances ?
L’enfant que j’ai été : Comment est-ce que cela se fait, comment est-ce que cela se peut que je ne me retrouve pas parmi l’un ou l’autre de mes garnements avec, par temps froid, mes sabots et mes chaussons, mes chaussettes de laine, mes culottes et ma jaquette de velours, ma casquette à rabats, mon cartable au dos et mon nez qui coule ? // Où est-il part l’enfant que j’ai été, pour ne plus revenir que dans mes souvenirs ?
La traduction en français est de Jean-Luc Fauconnier et Jacques Lardinnois. Pour certains textes, on a eu la bonne idée d’y joindre une traduction en picard tournaisien (Jean-Marie Kajdanski), en picard borain (Roland Thibeau) en wallon central (Joseph Dewez), wallon méridional (Pierre Otjacques) et wallon oriental (Jacques Warnier).
Le dessin de couverture est d’André Masquelier, colorisé par Jacques Raes.
Joseph Bodson