Jean Jauniaux, Le jugement des Glaces, roman  Editions MEO, 2024 (2024, 173 pages, 19 euros)

Ce dernier roman de l’auteur, contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, ne se passe pas au Groenland ni au Pôle Sud !
Barthélemy, le personnage principal, est un Belge habitant à Bruxelles. Professeur dans une institution d’enseignement spécialisé, il est l’objet de moqueries et de harcèlement de la part de ses élèves qu’il finit par haïr. Devenu insomniaque, il promène son enregistreur sur les quais du Canal, à l’écoute des laissés pour compte de la nuit. Les notes transcrites par la suite lui permettront de publier un « Guide » sous le pseudonyme d’Edmond Morrel. Succès et argent ainsi récolté lui permettront de mettre fin définitivement à sa carrière d’enseignant.
L’achat d’une étrange villa sur une dune de Saint- Idesbald va bouleverser sa vie, une vie qui ne tenait plus qu’à un fil, tant il se sentait désespéré et seul. Jusqu’à ce soir où cinq « pèlerins » font irruption dans son quotidien : écriture et action vont désormais se conjuguer.

Comme se plaît à le souligner Jean-Marie Le Clézio dans le texte de l’avant-propos, l’auteur aime mélanger le personnel et l’imaginaire. De longs développements introspectifs donnent au lecteur l’occasion de pénétrer dans « l’âme » humaine, celle de Barthélemy comme celle de tant d’êtres en déroute, harassés par le poids du quotidien laborieux, en révolte contre la triste évolution d’un monde où l’appât du gain prime sur toute autre préoccupation, qu’elle soit d’ordre écologique ou humanitaire. La rencontre fortuite avec Van Drogenbos, fonctionnaire communal responsable de l’urbanisme, illustre bien la nécessité d’un combat pour le respect de l’environnement (VD se bat depuis des années contre la fièvre immobilière qui menace le littoral). Cependant, ce fonctionnaire solitaire nous apparaît avant tout comme un grand nostalgique du temps passé au cours duquel ses parents et grands-parents lui avaient fait apprécier la beauté d’un paysage intact, quand la nature avait encore le dessus.
L’action au cœur du récit est également d’ordre humanitaire puisque Barthélemy et quelques autres vont aider les migrants tchétchènes, échoués à deux pas de la villa dans leur fuite vers l’Angleterre.
Toutefois, l’étrange surgit constamment dans la narration des faits comme dans les nombreuses descriptions offertes, à tel point que le lecteur doute : une villa enfouie sous la dune et prolongée par un ancien bunker allemand inachevé dans lequel sont installés des bureaux d’écriture ; le Paquebhôtel, un hôtel-paquebot désaffecté, aménagé en école pour migrants ; un vieux bateau croulant(nommé Liberty) ramené des bords du Canal de Bruxelles jusqu’à Nieuport par un ancien alcoolique au doux nom de Zanzibar ; Aslan, le Tchétchène , qui en guise de petit boulot promène les chevaux d’un fermier flamand voisin…, tout ceci est-il vraiment de l’ordre du possible ?
Ce qui en revanche est solide dans ce roman, c’est la construction d’une solidarité, l’écoute mutuelle, la préoccupation pour l’autre. Ainsi, Aslan se confie au micro de Barthélemy ; il y raconte la vie dans son pays, l’arrivée des Russes et les tortures infligées à ses proches, son errance à travers l’Europe. Durant ces longs moments de confidences formulées dans une langue mixte entre russe, tchétchène et français, chacun grandit, s’enrichit de l’autre.

En conclusion, nous ne pouvons que vous conseiller vivement la lecture de ce roman de Jean Jauniaux : vous n’y croirez pas au début, vous serez choqués parfois, vous serez séduits souvent et surtout, vous rêverez d’une nouvelle humanité.

Martine Melebeck