Luce Caron, le banc, éditions Lamiroy (opuscule 315), 40 pages, 5 euros, 2024
Une solitude, révélée d’emblée à la confiance d’un « Cher Journal », annonce la couleur de cet opuscule très prenant. Quel talent de pouvoir se mettre ainsi dans la peau et le langage d’une élève de 12 ans qui, après avoir attendu tout d’une rentrée scolaire réussie, va vite déchanter, le rêve lui devant un véritable cauchemar : « PS Cet aprèm, j’ai voulu le récupérer et elle m’a traité de radine. C’est même pas vrai que je suis radine, alors j’ai pas insisté. Je lui prête jusque lundi »( il s’agit d’un stylo).
Gestes malveillants à son encontre, jour après jour, s’installe pour Elisa un malaise progressif tandis qu’ elle ne tarit pas d’excuses pour celles et ceux qui s’en prennent à elle alors que sa mère tente de la rassurer de manière conventionnelle : « PS Demain je flippe un peu. Je sais pas pourquoi, des fois Maëlys m’aime bien et des fois, on dirait qu’elle me déteste. Maman dit qu’elle est lunatique. Ce mot, il pète, il est trop beau ».
Le silence s’installe à ne rien dire et à trouver des excuses : « Ce week-end j’ai supplié Maman de m’inscrire à l’école par correspondance. Elle m’a fait des yeux/J’ai fait genre que je m’ennuyais en cours ».
Luce, avec brio, fait évoluer la progressivité du malaise qui s’installe alors que la jeune adolescente subit insultes et violences tandis que la surveillance fait défaut : « Madame Colin – la surveillante – est loin, toujours fourrée dans le coin près des poubelles pour fumer une cigarette en cachette ». On comprend bien l’aveuglement du monde des adultes, la force du scénario étant relatée avec une absolue vérité tant les situations sont scéniques sans pour autant être théâtralisées. Du grand art !
Progressivement s’installe dans l’idée de la jeune fille la macabre évolution d’un romantisme morbide : « J’espère que j’irai au paradis, ça me changera. Même si c’est pas sûr que Dieu veuille de moi…Ma méthode est radicale, c’est l’avantage d’habiter au neuvième étage ».
Si parfois un « Cher Journal » peut être un confident utile, il ne donne pas de réponse. Monde des adultes, réveille, toi ! Cet opuscule devrait faire le tour des écoles pour sensibiliser au problème du « harcèlement ». L’opuscule, « géant » pour le coup, est interpellant alors qu’Elisa paraît humaniser une dernière fois sa seule vraie ressource possible, son « Cher Journal » : « Cher Journal Ciao, mon journal adoré. Je n’arrive pas à croire que je t’écris pour la dernière fois. Ne pleure pas, tu sais que c’est pour la bonne cause ».
Parfois une fausse bonne idée peut encore isoler davantage, ce que révèle « le banc », blanc, installé dans la cour : « Dédié aux élèves timides ou esseulés, ce banc favoriserait l’empathie/…/Il semble entouré par un périmètre de sécurité. Le franchir viendrait à accepter sa vulnérabilité ».
Un « opuscule » digne d’un grand roman !
Elisa sera-t-elle sauvée ? Va-t-elle s’asseoir ? Et…
Patrick Devaux