114, rue Houzeau
7022 Hyon
Christian NEERDAEL ( NERDAL de son nom d’auteur) est né à Frameries le 1er mai 1948.
CHRISTIAN NERDAL, L’homme à tête de taureau, éd. Chloé des lys, 2015.
Cet homme, à tête de taureau, n’est pas donneur de leçons. Pas plus que le poète. Christian Nerdal se regarde du dedans, observe plaies, sel sur les lèvres, antimatière de ce monde et passe le mot. Tout y surgit, vie, famille, alchimies, mythes et foi (que serait un poète sans une matrice de spiritualité ?), amour et mort. Puis la langue, ses sonorités cocasses, lancinantes, étranges, parfois coquines, accidents heureux, coïncidences à saisir. Tout trouve grâce et désir d’apaisement dans L’homme à tête de taureau pourvu que cela vibre et fasse écho, pourvu que tout se recoupe, se détache, ou plutôt vienne augmenter et mettre en mots la panoplie complexe des perceptions sur la condition humaine. Pourvu que le texte ou le poème, ainsi que l’humour, absurde, bien sûr, tendre aussi – Ah ! Ces irrésistibles Paulette, Petite Paule et Paulinou !-permettent d’en saisir la pointe acérée, trop lucide souvent. À peine couchée, la page assoiffée laisse place à une voie de mues et de détachement possibles, avant l’épurement. Avant le retour obligé du réel, donc du duel. Pour Nerdal, toutefois, la dérision reste apaisante, l’animisme incontournable, afin justement de dépasser, subjuguer ce monde tangible :L’Homme à tête de taureau, s’est mis en quête du fameux Cimetière des éléphants, suivant, solennel, corbeaux, rossignols et marabouts. Que ce soit avec la gravité d’un félidé vieillissant ou avec la légèreté bienfaisante de cet hilare portrait de nous dans Drôle de faune, drôles d’oiseaux. Que ce soit dans l’amour, le corps, entre identité et altérité, que ce soit dans les arts, les limbes, la mythologie et la langue, que ce soit tout cela à la fois, notre poète se veut fusionnel, sans compromis. Christian Nerdal se décline, se débat, se « démesure ». Il nous parle beaucoup de naissances, débarquées sur terre comme une part de divine offrande qui saute aux yeux, au cœur, à l’âme. Ces miracles disent leur nom, leur essence ne peut être que d’ailleurs, de merveille. Il dit l’enfance, qu’il prend par la main, comme dans la pureté clamée, scandée de A Ghlin sous la terre, pour nous jouer un air de slam « underground », dans les allées d’un autre cimetière où pères, pierres et repères ne sont plus que feux follets insaisissables ; ou gravés à jamais. Triptyque du temps qui échappe à tout. A tout, vraiment ? Pour notre poète, le langage, toujours lui, prolonge, quand il ne les transcende, l’expérience, la tentative de discernement du passant qu’il est, que nous sommes. Parfois au-delà de l’entendement, parfois dans la crudité de l’élégance. Plus encore, la syntaxe française se rend à la frontière ténue qui se décide au carrefour de la destinée, comme dans Tu es. Ou encore comme dans La condition humaine, où l’ivresse et l’irrésistible absurde se disputent le gouvernail de notre frêle et trop rapide embarcation. Des tableaux défilent, prières aux visages de femmes, qui laissent le poète au bord d’une plage, nanti d’un souffle lyrique, communiant avec une hypothétique épouse gitane, sur des Variations sur un vers de léonard Cohen. Et la quête de se poursuivre ; d’aquarelles en frissons, de contes et comptines en éclats et brisures, l’image et la musique se muent en mots de brume où Nerdal marche d’instinct, là-bas où, quelque part, sursautent les voix de naguère. Des souvenirs publics d’une autre décennie, intenses, bidonnants ou spirituels, de café-théâtre harvengtois ou de vie de château écaussinoise, me reviennent délicieusement, ici, à la relecture des poèmes Quand et Si l’on comparaît. Le recueil se décline en quatre parties de longueur inégale, faisant la part belle à l’été comme à l’hiver, autour des quatre saisons de la terre et de la vie : Aurore, printemps, écriture ; Jour, été, amour ; Crépuscule, automne, idéal ; nuit, hiver, mort. Avant, un dernier sursaut intitulé : Sacrifice, un dernier poème, l’élan spirituel, une forme de testament qui referme ce livre dans les profondeurs du temps, entre éblouissement et puissant dépouillement de l’abandon final. Si Christian Nerdal n’est pas donneur de leçons, que voici donc pourtant une somme de vie où, entre naissance et mort, naître et renaître.
Thierry Ries.
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CHRISTIAN NERDAL, La mort chez soi, éd. de L’amant vert, 2016
La mort est donc venue frapper à la porte, il a bien fallu lui ouvrir. Elle est entrée, a emporté ce qu’elle voulait, est repartie sans un mot. Cet anonymat furtif et taiseux laisse des empreintes, de celles encrées des disparus. Une fois chagrin, révolte et amertume dépassés, revient la page apaisante, la musique des mots, lancinante. Le besoin de dire, de clamer, de scander, de chanter, de souffler fortement à en perdre haleine. Impulsivement. Pour qu’ensuite il revienne, sinon plus apaisé, tout au moins plus expressif et patient. Si essoufflé, au bout de tout, qu’il finit par en devenir acceptation. Ainsi, Il est des glas nous ramènerait-il au rythme martelé, à la beauté formelle, humble et non moins endurante d’un Verhaeren. Ou un Petit Pierre à un lointain descendant du Pauvre Martin de Brassens. Voici donc ce qui relierait tout poète, une endurante patience ? En fin de compte, l’écriture, ne reviendrait-elle pas, entre autres fondements, à capter, peut-être même à contrer l’éphémère, par son caractère d’éternité ? Curieusement, le départ des proches vers les limbes et le chagrin qui s’ensuit et ramène à sa propre solitude, loin de nourrir une épouvante métaphysique, semble, sinon affiner l’essence sacrée de tout homme en quête, du moins lui ouvrir une voie de communication privilégiée, qu’il renie, parce que pas prêt ou qu’il écoute et parfois diffuse, comme dans La complainte du passé :
« Et quand, du fond du grand abîme triste, de la vallée des larmes, je lève les yeux,[…], je vois leur silhouette, […], et me crient des paroles que j’entends mais ne comprends pas ».
Ou, dans A l’amour, à la mort, à Fabian :…
«[…]curieux de connaître la mort et les rêves de l’au-delà. »
Quand s’en va le fils, et avec lui, espoir et continuation, les affres coulent dans la plume et sur le clavier, roulent sur leur poids, au bout du souffle révolté. La page se fait diversion, dérivatif, déversoir surtout, jusqu’à laisser son poète exsangue, harassé, à mesure que la page, elle, se fait débordante, sans autre style, sans autre littérature possible que le cri, primal, hypnotique, tranchant, impératif, subjugué, irrésolu, flux et reflux harassant, puis, finalement résigné. Christian Nerdal a beau être écoeuré par longs instants de la maladie et de la mort si précoce, vaille que vaille, la foi est là, au travers notamment des quatorze stations du calvaire, qui distillent une atmosphère intemporelle qui entoure tout mot, tout visage. Les regards appuyés se font visionnaires de signes météorologiques annonciateurs. Les paysages familiers, comme les terrils, géants bienveillants, témoins des mémoires, se font écho, présence, rappel. Parfois, la douleur, encore elle, terrasse le réel, le tangible, les repères vraisemblables, rassurants. Elle est telle qu’elle dépasse la notion, l’acceptation du départ.
L’auteur des lignes J’ai un problème et de L’homme au cœur blessé laisse de la colère dans les mots, sœur sueur de la douleur, parce qu’il le faut, parce qu’elle submerge, parce que c’est cela d’abord qu’il faut expurger.
Le recueil La mort chez soi se referme sur un texte beau et singulier, La visite du vieux monsieur, qui fait penser à un début de roman onirique, dit sous la forme d’un flashback, d’un testament, d’un cycle à boucler pour que tourne la roue, malgré ses rayons peints à l’antirouille des doutes, des visions, des bilans. Dans une pénombre entre chien et loup d’un jardin humide, puis de taches ménagères à effectuer, alors qu’un poème commencé se refuse à montrer ses arcs-boutants, un vieillard familier, évanescent et lumineux apparait à la porte. Il sera question de remise en question, mais surtout d’amour-providence laissé derrière le passage, étrange comme un défi intemporel, de ce personnage dont on ne saura rien ou presque. Apparition divine ? Retour éclair d’un aïeul ? Il s’en retournera dans un rideau de gouttelettes d’eau, isolant de son décor habituel le conteur dans une brume insoluble mais offrant un éclairage autre, distancié et momentanément enivrant. Si différent de son premier recueil, le second opus de Christian Nerdal plonge ici plus nécessairement dans son univers intimiste- deuil en cours, luttes intérieures, existentielles, expérience de la blessure, de la rage- que la recherche purement esthétique et poétique, livrant tout entier et sans fard, sa lutte d’amour dépassant toute fin.
Thierry Ries.