Yves Jadoul – Le Gordel– Edilivre – 165 pages – 15,50 €
L’auteur nous présente dans ce roman une fiction plutôt dramatique, où la Belgique unitaire a cessé d’exister. De Leger, l’armée flamande, a élargi le territoire flamand, il y a des implantations flamandes dans la botte du Hainaut, la force militaire du nord se heurte aux milices wallonnes et nous assistons à toutes les formes de violence physique et morale qui règnent dans d’autres régions du monde. Bien connu, à ceci près que ça se passe chez nous. Et cela prend dès lors une tout autre dimension.
Un mur de béton dans la ville ou autour d’une région, des barbelés, des tanks et des chekpoints, des kamikazes wallons qui se font exploser, des représailles, des bombardements, des quartiers entiers rasés au bulldozer, des populations déplacées, ou survivant avec peine dans une Wallonie paupérisée à l’extrême. Une Wallonie vécue par les Wallons comme « une prison à ciel ouvert ». Il ne leur reste que la balle-pelote, sport national wallon, et une culture de subsistance à peine suffisante. Atmosphère de guerre. Le mot d’épuration ethnique est même prononcé.
Pour tenter de rétablir la paix, un démantèlement des implantations flamandes en pays wallon est entamé par le pouvoir flamand mais cela n’est pas du goût des extrémistes. De leur côté, les Wallons craignent que cela ne prélude à une colonisation accrue de la Cismeuse et de Bruxelles-Est. Pour l’instant, la ville est coupée en deux, comme a pu l’être Berlin. Le conflit est loin d’être réglé.
La seule solution serait de faire intervenir le bon sens et la raison au lieu des nationalismes exacerbés, qui ne mènent qu’à toujours plus de violence. Témoin ce dialogue, en fin de roman :
« – Nous pensons que jamais les Wallons ne pourront fléchir les faucons flamands. Les seuls qui ont une chance d’y parvenir, ce sont d’autres Flamands. Nous croyons aussi que les Flamands auront beau construire des murs toujours plus hauts, jamais ils n’empêcheront les kamikazes de venir s’exploser chez eux. Seuls les Wallons pourront juguler leurs extrémistes et empêcher durablement les attentats suicides.
– Entre-temps, la situation des uns et des autres ne cesse de se dégrader. Les Flamands s’appauvrissent pour supporter l’effort de guerre et les Wallons se désespèrent jusqu’au suicide à la ceinture d’explosifs.
– La paix ne s’impose pas avec des chars d’assaut. Elle ne peut se gagner que dans la mentalité des gens.
– Et comme il faut des belligérants pour faire la guerre, il faut des pacifistes pour faire la paix. »
On compte sur les journalistes pour « créer un réseau de relations humaines par dessus le Gordel… ». Cela prendra du temps, sans doute une génération, le temps d’apprendre à se connaître et à ne plus avoir peur de l’autre… peur qui n’engendre que haine et violence.
Un roman rebutant par ce qu’il peut avoir d’inquiétant, s’agissant de notre pays, mais qui justement peut aider à réfléchir et à désamorcer la bombe latente qui menace depuis des années alors que, qu’on le veuille ou non, les deux communautés sont étroitement imbriquées dans la nation belge et leur intérêt commun est évidemment la paix et la prospérité d’un pays uni.
Isabelle Fable