Dartevelle, Belgiques – Dans les griffes du Doudou, nouvelles. Ker éditions.
Au moment même d’écrire cet article, je reçois un avis de Jean Jauniaux, président du Pen Club Belgique, annonçant le décès d’Alain Dartevelle. Jean m’a aimablement autorisé à reproduire cet article, que vous trouverez ci-après.
Une chose me paraît essentielle chez un auteur, qu’il soit poète ou prosateur, c’est qu’il ait un ton bien à lui, une sorte de marque de fabrique. Ce ton, Alain Dartevelle le possédait à un degré élevé. Un mélange d’humour et de modestie (l’un ne va pas sans l’autre), la capacité de se remettre en question. Et puis, jamais un mot plus haut que l’autre, et un ton pince-sans-rire assez inimitable.
Cela se décèle dès le début de son recueil, à propos de Magritte, avec un remarquable parallèle entre l’œuvre et l’homme. Et puis, dans Terreurs et Vanités, une sorte de pressentiment : Ainsi coexistent deux dimensions dont les cadavres sont les motifs. La mort des actualités, et cette présence continue, depuis les temps anciens, d’une mort à méditer, tout en la différant autant que possible: terreur et vanités.
Et puis, l’exergue de Chez ma souris blonde: Car vois-tu, l’homme est ainsi. Il a peur de l’étrange, de l’inconnu. Alors il se fabrique des croyances faites elles-mêmes d’irrationnel et s’oblige à croire à ses propres fantaisies pour se rassurer. (René Hausman).
Dans son fantastique à lui, il y a mélange du monde humain et du monde animal. Il procède pour ainsi dire par contaminations subtiles, comme si ces deux mondes déteignaient l’un sur l’autre par une chimie très naturelle. Un monde fluctuant, où l’érotisme lui-même a quelque chose d’étrangement familier. Il parle de moments flous, et parfois, pour un peu, on se croirait au château de la Belle au Bois Dormant.
Oui, une façon quelque peu différente d’aborder notre monde. Il insistera encore, p.52 par exemple, sur l’importance des maisons, avec, p.65, un mixte entre ironie mordante et profond désespoir. Et sa visite au musée Ensor, avec le spectre d’Ensor lui-même, et son propre alter ego, est un chef d’oeuvre du genre: confusion réussie entre le metteur en scène et ses personnages. A propos de Simenon, p.119, un nouveau dédoublement de la personnalité, avec, à Liège, des gens déguisés en personnages de Simenon pour faire la publicité de ses livres. Et cela se termine en une sorte d’apothéose avec l’Ile des Morts de Böcklin et ses personnages vus de dos.
Oui, un très beau livre, doux-amer peut-être, mais reconnaissable entre tous par sa parfaite connaissance du métier, et ce sourire en coin qui était sa marque.
Joseph Bodson
Communication de Jean Jauniaux:
Ce que je sais d’Alain Dartevelle…
Ce que je sais d’Alain Dartevelle est à l’image de se personnalité littéraire, la seule facette que j’aie eu le privilège de connaître, mais comme ces cristaux que l’on découvre en ouvrant des minéraux, les facettes étaient à la fois multiples, entremêlées et scintillantes.
Avec Alain Dartevelle j’ai approché l’homme engagé, membre du Conseil d’Administration de PEN Belgique depuis de nombreuses années avant que je ne sois élu à sa présidence en 2016. Il a toujours été à l’écoute des initiatives que nous menions défendre le droit à la liberté d’expression et promouvoir la littérature sous toutes ses formes et tous supports. Disponible à chacune des sollicitations que je lui adressais, dès que son intelligence, sa sagesse et sa justesse de perception me devenaient d’indispensables balises avant un engagement dans les chemins escarpés de la défense des libertés fondamentales et de la dignité des artistes.
Avec Alain Dartevelle j’ai aimé l’écrivain sensible et fécond (une dizaine de romans à son actif, de multiples nouvelles et récits, des recensions et articles critiques)à travers l’une ou l’autre interview que j’avais eu le bonheur de réaliser, jusqu’à la dernière de celles-ci que je m’apprête à mettre en ligne sur mon blog, afin de la publier sur le site de PEN Belgique (www.penbelgique.com ) et sur celui de LIVRaisons. Ma dernière rencontre avec lui s’est déroulée à l’hôpital Erasme. J’avas dû reporter le premier rendez-vous que nous avions pris, privilégiant idiotement l’urgence de je ne sais plus quelle affaire à l’importance qu’il attachait à cet enregistrement, qui eut lieu une semaine plus tard. Alain Dartevelle m’avait appelé pour me dire son inquiétude quant aux effets sur sa voix des chimiothérapies qui lui étaient administrées. Il ajouta « Et puis, le temps risque de nous manquer… »
Avec Alain Dartevelle j’ai découvert, chaque trimestre, un nouvelliste inspiré et original répondant à l’invitation de la revue MARGINALES qu’adresse son directeur Jacques De Decker à chaque saison nouvelle depuis près de vingt années. Il ne sera plus là pour composer une de ces fictions qu’il ciselait à chacune des livraisons de la revue. Dans le prochain numéro, dont le thème évoquera deux autres grands disparus de cette semaine, nous manqueront les pages qu’il n’aurait pas manqué de composer à propos de ceux dont se préparent fébrilement les funérailles parisiennes.
Sans doute le meilleur hommage que je peux rendre à cet homme sensible est de mettre à disposition de celles et ceux qui aimeront à en évoquer le souvenir, la recension de son dernier livre, un recueil de nouvelles dans la collection BELGIQUES dont la dimension testamentaire surgit avec davantage de violence sous la lueur du deuil, et l’enregistrement de cette ultime rencontre avec lui, enregistrée dans sa chambre d’hôpital, quelques jours avant son décès.
Au nom de PEN Belgique, au nom de la revue MARGINALES et au nom de cette fraternité généreuse dont il avait tissé des liens fertiles avec celles et ceux qui ont eu, comme moi, le privilège de croiser sa route, je forme le vœu que les manuscrits auxquels il voulait consacrer la liberté que lui octroyait la retraite et les romans et nouvelles qui constituent sa bibliographie trouvent de nouveaux lecteurs que méritent son œuvre et son art.
Jean Jauniaux
Ecrivain
Président de PEN Belgique
Rédacteur en chef de Marginales
L’interview d’Alain Dartevelle est accessible sur le blog LIVRaisons en cliquant sur le lien
http://espacelivresedmondmorrel.blogspot.be/2017/10/dans-les-griffes-du-doudou-alain.html ou sur soundcloud