Alain Goldschläger & Jacques Ch. Lemaire, Les témoignages écrits de la Shoah, Éditions Racine, 2016
Dans ce livre de 300 pages, les auteurs se livrent à une étude critique des témoignages écrits de la Shoah. Le problème posé à l’historien est de dépasser le niveau émotionnel qui recouvre les récits des survivants. De plus le phénomène de la Shoah a bouleversé tous les codes de vie en société au point qu’il est difficile d’aborder un témoignage de façon neutre, impartiale.
Pendant les 70 années qui nous séparent de la libération des camps nazis, 30.000 livres ont été publiés sur la Shoah. Alain Goldschläger propose une grille de lecture de cette masse de témoignages en contextualisant les conditions d’écriture et de réception des écrits testimoniaux.
L’ouvrage se divise en trois parties. La première étudie le système des signes testimoniaux. C’est la partie méthodologique : définitions, analyse et conditions de publication des témoignages. Des problèmes essentiels sont soulevés tels que l’adéquation du langage à exprimer l’horreur vécue dans les camps. Le corpus des écrits est tellement vaste et hétéroclite qu’il présente de réelles difficultés quand il s’agit de les classer. Faut-il privilégier des auteurs réputés comme Elie Wiesel et Primo Levi ou accueillir tout récit, fût-il de qualité littéraire médiocre ? Sans doute racontent-ils deux vérités différentes, mais complémentaires. L’auteur analyse les caractères de divers types de récits : autobiographie, témoignage, autofiction, biographie, reportage. Une victime est-elle en mesure de témoigner ? Enfin, l’époque et la langue dans laquelle les témoignages ont été rédigés constituent des facteurs importants pour leur interprétation.
La deuxième partie de l’ouvrage répartit les témoignages de la Shoah en cinq périodes. On comprend aisément que les récits de la première période (avant et pendant la guerre) portent l’empreinte d’un vécu enraciné dans la chair. L’écriture apparaît alors comme le seul moyen de survivre dans la mort.
Les témoins de la deuxième période (l’immédiat après-guerre) étaient poussés par la nécessité absolue de raconter au monde ce qui s’était passé, obligation ressentie comme l’accomplissement d’une promesse faite aux victimes. Il s’y mêlait souvent un sentiment de culpabilité d’avoir survécu (syndrome du survivant) et aussi parfois un désir de vengeance.
Durant la troisième période (1952-1979), on assiste à une sorte de décantation : forme et contenu des textes vont progressivement évoluer. La Shoah entre dans l’histoire. Le Journal d’Anne Frank appartient à cette veine, mais aussi toute la littérature qui entoure le procès d’Adolf Eichmann en 1961. À partir de 1980 apparaît un nouveau type de récit à visée pédagogique, qui débouche sur une réflexion plus générale. Les médias s’emparent de la Shoah. Enfin, depuis l’an 2000, la littérature testimoniale se cherche un nouveau souffle avec le développement de la recherche universitaire et l’étude des autres génocides, les transcriptions et les compilations.
La troisième partie de l’ouvrage porte sur des questions philosophiques et éthiques : hiérarchie des douleurs et sujets tabous, comme la sexualité dans les camps. Enfin l’auteur consacre un chapitre à la Shoah et l’image : photographies, dessins, cinéma et télévision.
Plusieurs annexes complètent l’ouvrage : bibliographie, filmographie, index des noms et index des notions. Professeur à l’Université de Toronto, Alain Goldschläger dirige l’Institut de recherche sur la Littérature de l’Holocauste.
Jacques Goyens