Alexandra Shahrezaie L’orage vénitien, poèmes, éd Traversées, illustrations de la couverture et pages de l’auteur ( 126 pages, 20 euros, 2024)

La poétesse est un monde à elle seule tandis qu’elle puise sa source dans une immédiateté qui lui sied avec une chute parfois contrôlée : « C’est mon accent/mes bleus/et mes rêves désavoués/et je fais que tomber/comme une pomme/antigravitationnelle/et la terre ne veut pas de moi/et le ciel me renie/et mon corps et ses rides/n’est plus fier comme avant ».
On parle là d’un langage très contrôlé et d’une destination ou d’une réminiscence qui serait Venise, l’éternelle enchanteresse, même si Alexandra lui préfère les tons gris travaillés également en photos choisies nous menant entre ruelles et canaux suggérant davantage l’abandon que les groupements touristiques qu’on lui connait.
La ville est pour elle un fantasme en continu et l’auteure s’y éclate en un langage qui, parfois, brise les codes avec un certain brio et un certain humour : « Dans mon fantasme de moi-même/Je me défie/Je suis profondément géniale/ Même dans ces moments majestueux/ Où je n’arrive pas à additionner/mon café américano et ma petite bouteille/D’eau pétillante ».
Son « improbabilité d’être incomprise » est flashée sur la ville mystère en autant de secrets personnels : « Si je vis encore quelque temps/Et si j’ai assez d’argent pour acheter ce qu’il faut/ Pour dessiner/Je vais dessiner la journée d’aujourd’hui/Et le canal/Et les tuiles/Et le bruit des vagues ». Le lecteur la devinera peut-être un peu elle quand elle se demande « Tout ce à quoi ressemblent des gens/Quand ils pensent/Que personne ne les voit »
Si la poétesse marche sur les eaux « sans s’appeler Jésus de Nazareth », elle peut se faire l’ange de la cité avec « Le poids des pierres/Accrochées à son cœur ».
La ville d’eau aime la petite monnaie qu’on lui lance tandis qu’elle lui rappelle ; « Si je vis un instant/ C’est pour l’éternité ». Cette dernière serait- elle une fois encore, avec la mer en bout de pierres grises, « retrouvée » ?
J’ai un jour croisé l’auteure à Bruxelles, loin de Venise, elle qui porte sur elle la générosité de ses mystères, elle dont « les yeux cherchent partout/la même lumière/…/en toutes circonstances »

Patrick Devaux