Balle pelote, un sport loisir en voie d’extinction
Jadis florissante dans nombre de patelins, la pratique de la balle pelote se limite aujourd’hui dans les provinces de Hainaut, de Namur, les Brabant wallon et flamand, la Flandre orientale. Le photographe Andy Simon propose un inventaire en images des endroits dévolus à ce jeu par les communes. Il a pérégriné de lieu en lieu, d’Acoz à Yvoir. En fin de volume, c’est Benoit Goffin qui rappelle l’historique de la pratique du jeu de balle et qui tente d’expliquer les raisons de la lente décrépitude de ce loisir traditionnel. C’est « un patrimoine immatériel en voie d’extinction ». Le Musée national des Jeux de Paume, au cœur de la ville d’Ath, en donne un aperçu historique intéressant.
Une lente disparition
Les affrontements entre équipes de balle pelote sont de plein air. Avant que la voiture n’envahisse les voiries urbaines ou rurales, la rue ou les places se prêtaient bien à des matches avec présence d’un public. Actuellement, pour d’évidentes raisons de sécurité, l’espace s’est restreint et les moments pour se les approprier se sont raréfiés. Ce qui provoque une diminution non seulement de la programmation de ce type de manifestation mais aussi une réduction des supporters, surtout si les aires de jeu sont écartés vers des endroits moins visibles ou excentrés. « Relégué en dehors de la rue ou de la place, délocalisé d’un espace public qu’il animait de sa présence, le jeu de balle abandonne cette dimension communautaire constitutive de son identité ; […] perd une partie de son âme et de sa visibilité ».
Ajoutons à cela que la diversité des offres de loisirs qui existent dans nos sociétés requièrent du public qu’il fasse des choix, lesquels sont souvent sollicités par des activités plus ou moins fortement médiatisées. De même la pratique de la balle pelote est gratuite dans un univers où le sport s’est professionnalisé et où par conséquent l’argent est là pour garantir du matériel, des possibilités de gain au prorata des sommes investies. Il existe cependant une tendance nouvelle, inventée par un féru de balle pelote, Guillaume Dumoulin, le firstball, qui s’avère discipline susceptible d’initier les jeunes à un retour vers la tradition.
Un inventaire significatif
Avec près de 400 prises de vue, Andy Simon dresse un inventaire à la fois documentaire, sociologique et iconique. Il met en images une réalité brute qui parle avec objectivité d’une disparition prévisible, d’une nostalgie perceptible, d’une volonté de sauvegarde historienne.
Le lien qui relie cette impressionnante collection de clichés est d’abord le tracé des lignes blanches délimitant l’aire du ballodrome, soit par leur présence plus ou moins visible au sol, soit par l’absence devenue significative. Il est des marquages nets (Braine-le-Comte, Buggenhout-Opstal, Crupet, Herne, Lessines, Montroeul-sur-Haine, Pécrot, Purnode, Sart-en-Fagne, Spy, Stave, Thy-le-Château, Vaudignies, Vierset, Villers-le-Gambon, Vodelée… ), parfois flanqués de la verticalité de poteaux limitrophes, les ‘perches’ définissant l’espace de jeu (Hulsonniaux, Idegem, La Hamaide, Leignon, Kastel, Kersken, La Longueville, Marchiennes, Miavoye, Saint-Servais, Sovet,Vaudignies). Sa réalité formelle totale apparaît rarement (Dorinne). Exceptionnellement mais esthétique, c’est un changement de couleur des pavés qui tient lieu de délimitation (Mettet). Une fois, c’est dépouillé de tout marquage, en plein bitume de circulation (Vodecée) ou en terre battue (Montignies-sur-Roc). Il est fréquent qu’il entre en interférence avec le réglementaire marquage routier au sol (Basècles, Bouvignies-sur-Meuse, Champion, Ciergnon, Hautmont, Namur, Nivelles, Rhode-Saint-Genèse, Tangissart, Wadelincourt, Yvoir).
Des éléments mobiliers externes suggèrent la présence d’un public. Installation de sièges : banc solitaire au pied d’un arbre (Crupet), entre deux troncs (Hastière), esseulé à quelques mètres d’un confrère (Villers-Poterie) ou regroupés (Évrehailles, Floreffe, Kersken, Ninove, Noville), sous l’aspect de mini-tribune (Acoz, Baasrode, Haut-le-Wastia, Ottignies). Une seule exception, celle qui intègre le ballodrome devant les tribunes d’un véritable stade (Gilly). Des localités arborent des réalisations particulières : un tableau marquoir de scores comme poussé sur tapis de feuilles mortes (Warêt-la-Chaussée) et des panneaux publicitaires de sponsors locaux voire nationaux (Ath, Ladeuze, Blicquy, Baasrode, Galmaarden, Saint-Denis, Villers-Saint-Ghislain). Pub et infos sur le match se combinent rarement en un seul placard (Arcet).
L’implantation du terrain révèle pas mal d’informations à propos de jeu de balle actuel. Installé à proximité d’une église signifie une intégration à la communauté et sans doute une existence depuis un temps certain (Annevoie-Rouillon, Biesme, Blaugies, Blicquy, Bourgeois, Calonne, Chapelle-à-Wattines, Escaupont, Gerin, Lesdain, Leval, Ligne, Molembaix, Naast, Thirimont, Thumaide, Tourinnes-la Grosse, Vodelée, Wannebecq).
Il est des lieux qui sont des signes à connotations sociologiques. En pleine voirie à domination automobile se posent des complications suscitées par la circulation ordinaire (Boussu-en-Fagne, Bousval, Buvrinnes, Doische, Ecacheries, Grosage, Planois, Rongy), quelquefois même à proximité d’un tournant (Attre, Bernissart, Bioul, Bois-de-Lessines, Carrières, Dorinne, Ecaussines, Ellezelles, Hanzinne, Henripont, Herchies, Horrues, Ladeuze, Molembaix, Morville, Pesche, Purnode).
Il sera relégué face à un terminus végétal envahissant (Beaurieu, Flawinne, Mevergnies), foisonnant (Buizingen) ; une prairie en friche (Miavoye) ; des bulles à déchets (Franière, Leignon) ; une barrière basculante (Hal) ; des barrières fixes bicolores (Oeudeghien) ; une palissade (Vaudignies) ou une haie (Neufmaison) ; des éléments ludiques pour enfants dans un parc (Hamme) ; devant un monument aux morts (Huissignies) ; contre la façade d’une habitation (Kersken) ; juste au pied de la buvette (Kokejane) ; au pied d’un panier de basket (Névremont) ou au voisinage d’un kiosque (Solre-sur-Sambre)…
Andy Simon a établi un véritable répertoire des terrains de balle pelote en Belgique. Il l’a entrepris de façon systématique, objective tant que faire se peut : chaque photo est en format paysage ; elle est prise en plan général de face, sans aucun effet spécial ni de recherche de lumière. Ce sont bien des documents sur lesquels n’apparait aucun humain. Le photographe exprime le décor d’un univers sans pour autant aborder ce qui s’y passe. À partir de cela, il devient loisible d’imaginer ce que feraient des équipes de joueurs dans des endroits qui sont forcément familiers car situés dans des cités de notre terroir. Et il est sociologiquement très parlant d’examiner, lorsqu’il y en a, les façades de l’habitat : modernes ou traditionnelles, entretenues ou décrépites, froidement fonctionnelles ou fantaisistes.
C’est une base à partir de laquelle chacun peut imaginer les conditions dans lesquelles se déroulent les compétitions. S’interroger sur le fonctionnement de ce sport dans la vie telle qu’elle se passe aujourd’hui où l’automobile régit l’urbanisme. C’est un document précieux qui ne cherche pas l’esthétisme des images mais une constatation.
Une perception littéraire
Il y a peu de traces littéraires à propos de ce jeu. Benoit Goffin, dans son livre « Le jeu de balle au cœur de notre région » , en a repéré quelques-unes. Chez Maurice des Ombiaux, Jules Sottiaux, Albert Henry. Il ignorait sans doute ces vers de Géo Delcampe qui constituent une conclusion poétique à cette recherche essentiellement sociologique.
JEU DE BALLE
La balle a fui, rapide et blanche
Comme un trait, dans l’air spacieux;
Et, dans les rangs des curieux,
On parle assez haut de revanche.
Gageure de ce clair dimanche,
Souveraine d’un mail joyeux,
La balle a fui, rapide et blanche
Comme un trait, dans l’air spacieux.
« Quarante-à-deux !… » Ultime manche !
Sœur de l’éclair, chassée aux cieux
Par un joueur prodigieux
Dont le corps agile se penche,
La balle a fui, rapide et blanche.
Andy Simon, Ballodromes, Arles, Poursuite, 2022, 304 p. Postface (fr –en – nl) : Benoit Goffin.
Benoit Goffin, La balle pelote au cœur de notre région,Bruxelles, Aparté, 2006, 160 p.
Géo Delcampe, Hainaut douce patrie, Péruwelz, Luth florimontain, 1972, p.58.
Michel Voiturier