L’exposition « Baudelaire-Bruxelles », présentée à la Maison du Roi par le Musée de la Ville de Bruxelles, face à l’Hôtel de Ville, s’ouvre sur une phrase du poète, bien lisible sur l’affiche jaune : Tous les Belges, sans exception, ont le crâne vide. Le ton est donné, l’assaut est lancé par l’auteur des « Fleurs du Mal » contre le pays qui n’a pas eu l’heur de lui plaire et de lui faire oublier surtout le spleen énorme qui l’assaille dans ces années 1864-1866, durant lesquelles il rumine ses échecs, sa solitude, son impuissance, son état de santé délabré et l’incompréhension qu’il rencontre en France autour de son œuvre.

Son bouc émissaire, ce sera notre nouvelle nation qu’il va couvrir de sarcasmes et d’insanités, pestant contre tout ce qu’il rencontre : un public qui n’apprécie pas son piètre talent d’orateur et ses grands airs de dandy méprisant, l’allure provinciale ou même campagnarde d’une capitale pour rire, la saleté repoussante de certains quartiers longeant la Senne, les chiens de trait que l’on croise dans les rues, l’odeur de savon noir qui traîne dans l’atmosphère, les femelles qui la répandent en martyrisant les trottoirs, les chemins pentus et tortueux qui empêchent la flânerie, les bruits de kermesse et de cabaret qui se déversent de partout, la coquetterie religieuse qui ridiculise nos églises, l’esprit de singerie et de conformité que les messieurs belges portent sur eux en exhibant leurs lorgnons, le côté rustre de notre premier roi sous son costume et, last but not least, notre goût immodéré pour une bière infâme, le faro, que l’on brasse avec l’urine et le reste, déversés dans la rivière qui traverse la ville… N’en jetez plus, le seau est plein ! Et voilà le « guide » que nous imposent les organisateurs de l’exposition, au demeurant assez intéressante sur le plan de la documentation (archives, manuscrits, cartes, photos, caricatures et tableaux, accompagnés d’extraits de la prose vengeresse et virulente du poète). De qui se moque-t-on, en vérité ? Même si l’on s’habitue peu à peu à l’anti-dérision pratiquée systématiquement dans notre petit-petit pays, il ne faudrait pas pousser le bouchon jusqu’au masochisme et au ridicule. L’on sait que Bruxelles, à cette époque, n’a pas encore connu les travaux d’assainissement de la Senne qu’entreprendra Léopold II et que la ville n’a pas eu son Haussmann ni encore son Anspach. Elle a donc gardé dans ces années soixante son aspect ancien, ses venelles médiévales et souvent pittoresques (voir les belles toiles de Van Moer) et ne verra fleurir d’élégantes avenues qu’à la fin du siècle. Le misérable Baudelaire qui rumine ses défaites aurait mieux fait d’aller prendre l’air à Saint-Hubert ou à Ostende, ce qui lui aurait évité peut-être ses infectes nausées racistes, sexistes et élitistes. On peut certes admirer le style et la richesse de son œuvre, l’immense influence qu’il a exercée sur nombre de poètes, y compris les nôtres, Verhaeren entre autres, sans devoir s’intéresser pour autant à ses pamphlets pitoyables qui ne trahissent ni plus ni moins qu’une profonde frustration. Le livre que J-B Baronian vient de publier sur ce sujet éclairera davantage le visiteur qui souhaiterait mieux connaître l’état de découragement et de rage dans lequel était empêtré à cette époque l’ex prince des nuées.  Il nous reste à nous poser cette question, volontiers impertinente : à quand une exposition, en ces mêmes lieux emblématiques, qui serait consacrée à la « bruxellisation », à l’urbanisation catastrophique de certains quartiers, à la création fortement contestée d’un piétonnier géant et à d’autres épreuves irréparables qu’endure notre malheureuse capitale ? Le commentaire accompagnant les photos serait confié à un humoriste, un littérateur ou un journaliste parisien, familier de notre ville et tout aussi caustique que le pauvre B. qui, lui, nous aura plutôt chagrinés et irrités durant la visite…

Michel Ducobu

 

Exposition ouverte jusqu’au 11 mars 2018, du mardi au dimanche, de 10h à 17h ; fermé les lundis.

À la fin de sa vie, Charles Baudelaire (1821-1867) passe deux ans à Bruxelles, de 1864 à 1866. Une période d’amertume, de maladie et de dénuement qui amène l’auteur des Fleurs du Mal à écrire un pamphlet virulent et insolent, non publié de son vivant, contre la Belgique et surtout contre Bruxelles intitulé Pauvre Belgique! L’exposition convie le visiteur à la découverte de la capitale belge des années 1860 avec Baudelaire comme guide. Tempérant la vision noire de l’auteur, des special guests, amis ou connaissance de Baudelaire, complètent le portrait de la ville – Nadar, Victor Hugo, les frères Stevens, Camille Lemonnier, Georges Barral. Les œuvres exposées sont principalement tirées des collections de la Ville de Bruxelles.

Autour de l’exposition

  • Balades Sur les traces de Baudelaire : chaque dimanche à 15h, en français
  • Conférences Les Jeudis de l’histoire : 5 conférences sur Baudelaire, l’homme, l’écrivain, ses rencontres, ses passions
  • Les Midis de la Poésie : le mardi 16 janvier 2018, Exploration Baudelaire, spectacle autour des Fleurs du Mal(Cie du Simorgh)
  • Museum Night Fever : le samedi 3 mars 2018, lecture intégrale des Fleurs du Mal