Colette Nys-Mazure, Quand tu aimes, il faut partir, sur Maternité de Modigliani, coll. Ekphrasis, éd. Invenit.
Le propos original de cette collection est de publier le texte d’un auteur à propos du tableau d’un peintre, plus ou moins connu. Colette Nys-Mazure nous y avait déjà donné auparavant deux ouvrages, l’un sur Le Reniement de Saint Pierre, par le Pensionnaire de Saraceni, l’autre, sur Le Soleil ni la mort, de Vallotton, tous deux d’une remarquable sagacité, mais aussi pénétrés d’une émotion profonde.
Et ce sont les mêmes qualités que nous retrouverons ici. Ainsi nous dira-t-elle, p.11: Recevoir l’œuvre telle qu’elle s’offre ici et maintenant. Ici, et maintenant, c’est Jeanne Hébuterne, la compagne du peintre, tenant contre elle sa petite fille. Mais elle la porte de travers, comme faisaient les madones anciennes. Un visage opaque, une figure étroite et serrée, une lucidité et une mélancolie contagieuses.
Innombrables vierges à l’enfant, le serrant contre elles ou, au contraire, l’orientant vers le monde, nous dit-elle. Et c’est tout le sens de sa démarche: s’éloigner de l’anecdote pour toucher au cœur du sujet.
Telle une icône dans une mandorle. Les visages ressemblent à des masques au travers desquels filtre le bleu du regard. A l’image peut-être d’Eugénie, la mère de l’artiste, à qui il était très lié.
Elle évoquera ensuite les faits saillants de la vie de Modigliani, sans la moindre grandiloquence. La violence et la dérision, les faits à l’état brut. Nous sommes très loin ici de l’artiste romantique tel que le cinéma nous l’a présenté. Ses liaisons, son alcoolisme. Sa famille. Ses voyages. Jeanne, la compagne, qui vint à Paris, toute jeune, pour peindre. Ils vivront ensemble, mais il ne la peindra jamais nue. Il y aura toute cette couronne de poètes, de peintres qui seront leurs amis, à commencer par le lucide Blaise Cendrars, à qui le titre du livre est emprunté.
Elle évoquera, à la fin, un très beau texte de Christian Bobin, qui l’a guidée dans sa Célébration de la mère, et cet épisode douloureux comme un chemin de croix, où l’on voit ce cantonnier, qui a ramassé sur les pavés le corps de Jeanne, suicidée après le décès de Modigliani, un corps dont personne ne veut et qui reviendra à l’hôpital d’où il était parti. Et c’est l’épouse de Fernand Léger qui lui fera la toilette mortuaire. Le monde est plein d’étranges rencontres, mais ici aussi, en ces derniers moments, Colette Nys-Mazure sait nous transmettre son émotion sans hausser le ton.
Un récit poignant, un tableau qui l’est tout autant, dans son étrange modernité qui semble remonter à la nuit des temps. Pour les évoquer, il fallait le talent de Colette Nys-Mazure, où la vigueur se mêle à la délicatesse.
Joseph Bodson
Le tableau se trouve au LaM, Lille métropole, musée d’art moderne à Villeneuve d’Ascq.