Corinne Hoex, Leçons de Ténèbres, Le Cormier, 2017

Comme les autres recueils de Corinne Hoex, ce recueil, dans toute sa complexité et sa beauté formelle,  arachnéenne, est un véritable joyau, nous dirons même: un diamant noir.

Quelques mots d’introduction viendront sans doute à point aux lecteurs non familiarisés avec la musique religieuse. L’office des ténèbres se célèbre durant les trois derniers jours de la semaine de Pâques, mais la veille du jour précédent, donc mardi, mercredi et jeudi soir. Chaque office est formé de trois leçons, dont la première est tirée des Lamentations de Jérémie. Il semble que le genre prit naissance vers 1650, en France, du fait que les musiciens de la Cour du Roi ne pouvaient présenter d’opéras au cours de cette période. L’usage en dura un siècle environ, tant en France que dans les pays voisins. Les auteurs les plus célèbres en furent Charpentier, Couperin, en France, Gesualdo en Italie. Gesualdo rendu célèbre par l’assassinat de son épouse. Au cours de la cérémonie de l’Office, le chandelier à quinze branches était éteint et placé derrière l’autel.

Voilà donc le cadre planté, et Corinne Hoex en fera un usage assez rigoureux.

Mais elle débute, en exergue, par une citation de Baudelaire en parfaite harmonie – Satan n’est jamais loin, chez Baudelaire, qui n’hésite pas à le convoquer auprès des merveilleux nuages. Le mal le plus profond voisine avec le surnaturel le plus élevé.

Comme tu me plairais, ô nuit! sans ces étoiles

Dont la lumière parle un langage connu!

Car je cherche le vide, et le noir, et le nu!

Nous savons aujourd’hui que ces étoiles peuvent, à force de rayonnement, se condenser en naines blanches, qui recèlent une masse, une énergie fabuleuse, et que dans l’infini du ciel, l’embrasement total peut succéder au noir absolu – mais ce n’est là, sans doute, qu’un parallélisme accidentel et récent.

Des textes ultra-courts. Le recueil entier peut sembler une célébration du noir. Ainsi trouverons-nous dans la seconde leçon le noir, souvenir du rouge, cierge éteint, charbon brûlé. Comme d’habitude chez elle, tout est extrêmement condensé, on pourrait même dire ici brûlé, usé jusqu’à la corde. Qu’en reste-t-il pour l’essentiel? Le vide? Les quinze cierges vont s’éteindre, sauf le dernier. Le dernier instant arraché au silence, le vide de la parole. Et les phrases en italique semblent en être une sorte de scolies, de mise en scène.

Négation aussi du temps. Comme un temple incendié, toutes nos notions fondamentales s’effondrent, mais dans le silence, une sorte d’effritement sourd. L’existence même de la souffrance, en soi, mise en question après la suppression du moi et de ses constituants.

A la page 28, nous irons de superlatif en superlatif, par la répétition: Solitude. Solitudes, et par usage du déterminatif: nuit de la nuit.

Père du temps, de l’amour, du jour et de la nuit, le Christ, et l’Esprit qui souffle où il veut et agite les grands plis du baroque se trouvent ainsi écartés, pour être remplacés par Gesualdo – l’amour et le sadisme, la cruauté, Gesualdo qui porte le Christ non sur sa croix, mais dans son nom. Gesualdo, nouveau crucifié. Le plus grand des blasphèmes: identifier Dieu et le mal, la souffrance infligée et reçue: c’est le noir, le néant lui-même, qui se consume en la personne de Gesualdo. Le temps est cette flamme éteinte. //Visage sans visage dans le vent de la nuit. Et tout cela dans une atmosphère très espagnole, à la page 41: Ta voix aveugle face aux lutrins dorés. Peinture, musique espagnoles. Ivresse de ne pas être. Mais l’art peut-il tenir lieu du néant absolu?

Une construction impeccable, au cœur même de la musique. Des sonorités quasi étouffées, des harmonies subtiles. On n’a jamais, sans doute, nié la grâce avec autant de grâce.

Joseph Bodson

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