Daniel Simon, Positions pour la lecture, textes, éditions Couleur livres, 2019
Dans Journal d’un lecteur, Alberto Manguel, livrant une sorte de carnet intime sur les livres qui l’avaient marqué, insistait sur le fait que la lecture est avant tout une « conversation, le lecteur éprouvant le besoin de répondre aux textes qui l’interpellent et enrichissent sa vie de centaines de vies multiples.
Dans Positions pour la lecture, Daniel Simon nous parle aussi d’intimité, puisqu’il s’agit de son parcours en littérature et de ses diverses expériences dans ce domaine (en tant qu’écrivain, animateur d’ateliers d’écriture, critique littéraire, lecteur, éditeur). Lui aussi, nous parle de lecture, de son urgence, des mutations de son contexte, de son intemporalité et de son absolue nécessité. Mais il met en plus l’accent sur le rapport essentiel entre lire et écrire, entre la lecture et la création. Oui, il s’agit ici d’un livre sur l’exigence de la lecture et sur l’exigence de l’écriture, l’une n’allant pas sans l’autre.
Pourquoi les gens lisent, « Lire, c’est l’approche, au fond de soi, d’un souvenir étrange et lointain, celui de l’expérience commune des hommes qui soudain nous appartient…en propre, le temps de la lecture ». « Ecrire, c’est souvent se ramasser endolori de chutes infinies ».
Le livre (superbement écrit) chemine d’une idée à l’autre, avec une suite interrompue de textes portant sur des thèmes particuliers, et forme un tout, cohérent et instructif. Chaque lecteur y trouvera un peu d’eau à apporter à son moulin…, ou matière à se remettre en question, pour peu qu’il s’essaye lui-même à l’écriture… On n’est pas obligé de partager toutes les positions (de lecture) de l’auteur, mais tout porte à réfléchir.
Quelques pages féroces, par exemple, sur l’ « écrire court », que le monde d’aujourd’hui et les moyens d’expression et de communication modernes ont mis à la mode ; l’auteur y voit surtout de « la bêtise récurrente », un « épandage de lieux communs et de petites crispations humanitaires fort adaptées au goût de la tribu sous forme de haïkus plus ou moins bricolés ». L’on est tout de même un peu soulagé de lire qu’ « Ecrire court, c’est enfin résister au flux, à la dispersion, au continuum. Ecrire court c’est faire barrage à la logorrhée du temps et enfin sculpter la langue dans ce qu’elle requiert de plus exigeant : la précision ».
Le livre nous fait littéralement…voyager. Dans le train, sorte de cabine de méditation : « Lire en regardant régulièrement le paysage à travers la fenêtre dans la suite des arrière-pays camouflés et revenir à la lecture tout emmitouflée encore de la buée du paysage ». Et dans nos lectures d’enfance – les livres d’aventure-, où « je m’enfermais des semaines durant et voyais la fin venir avec une douleur qui me serrait le cœur pour de vrai » (un passage qui m’a ramenée presque brutalement à cette période lointaine et délicieusement douloureuse où je m’échappais du cocon des parents pour retrouver au plus vite, dans la solitude de ma chambre, le Comte de Monte Cristo…). On le ressent bien un peu tous, que « Ce sont les lectures de l’enfance qui creusent le puits. Après, ça coule de source ».
Un regard souvent enchanté. Parfois aussi désenchanté/ un peu acide mais empreint d’une vérité certaine, sur nombre de sujets. Par exemple sur « cette façon, à peine un texte est-il paru, de se présenter comme écrivain. Auteur, ça ne sonne pas suffisamment fort (…) ». Ou sur certains qui « écrivent comme on marche dans la neige en levant les genoux et traînant les pieds. Des gesticulations qui ne font que des trous…dans le vide ». Ou encore sur ce constat de l’appauvrissement de la langue, par la recherche effrénée Du mot sans souci de la phrase ; or c’est celle-ci qui « engage, organise, place les mots là où on décide qu’ils feront sens et parfois forme (…) » et « Priver la phrase de ces intentions, ou renoncer à en découdre avec celles-ci, c’est comme une exposition de bijoux en toc ».
En conclusion, un livre riche et salutaire qui inquiète un peu, secoue et fait du bien. Il se clôt sur une interview de l’auteur qui fera méditer tous ceux que la plume démange : Ecrire juste, « retirer plus qu’ajouter dans le texte. Aller vers la simplicité et se dire que l’écriture ne sert pas à mettre par écrit ce qu’on peut dire oralement ! L’écriture cherche ailleurs, à côté, en-dessous, mais ailleurs… »
Martine Rouhart