Daniel Laroche, Modernité de Norge, L’Arbre à Paroles/Midis de la Poésie. 2017, 36 pp.
Un titre bien choisi, pour une excellente introduction à l’œuvre de Norge.
En un premier temps, Norge est apparu aux critiques comme un poète spiritualiste, porté à la métaphysique. Ce qui a été vrai jusqu’à un certain point. Ainsi Jacques Réda a-t-il pu écrire, dans La Sauvette, en 1995: Si l’on écoute avec attention cette musique, qui semble avoir choisi l’harmonica, on y entend déambuler les basses fondamentales de l’orgue métaphysique, dont personne n’alimente le souffle que le vent insaisissable de Dieu.
Cependant, après les années 1930, il s’est rapproché de deux inspirateurs: Darwin et Nietzsche. La vie est un combat sans pitié, des espèces vivantes disparaissent. Il va faire preuve d’un cynisme fataliste, le loup apparaîtra souvent dans ses poèmes. Foncièrement immoral et agnostique, Nietszche rejette les théories qui exaltent la conscience et l’intelligence. Toute morale saine est dominée par l’instinct de vie. Ainsi, Norge va-t-il écrire plusieurs poèmes qui évoquent la naissance de la vie sur la terre. Ses poèmes se peupleront d’animaux réels et légendaires. Seconde leçon nietzschéenne: le rire libérateur, qui n’exclut pas la gravité de la pensée. Le scepticisme à l’égard des doctrines et des dogmes. La vérité est plurielle et contradictoire. La mort n’est pas l’annulation de la vie, Dionysos est le symbole de la jouissance jubilatoire.
Mais cette pensée n’est pas monolithique, elle sera parfois spiritualiste, parfois darwinienne. Norge est le poète de la diversité irréductible, c’est là la leçon essentielle de ce livre.
Il use aussi d’une poétique du réemploi, réemploi de formes et de textes anciens, de légendes, de contes de fées. Tout lui est bon: la Bible, les mythologies, les comptines, les proverbes, les textes littéraires. Rien à voir avec l’influence ou l’emprunt, ces réemplois sont, eux aussi, jubilatoires. Rien de passéiste, donc, mais la logique du pot-pourri: il prend son bien où il le trouve.
Même jubilation dans le jeu avec le langage, perceptible dès 1933. Le mot n’est pas un simple serviteur de l’idée. Il a son poids propre, sa sonorité, son pouvoir évocatoire. Ainsi trouverons-nous chez lui des mots savoureux, saugrenus ou pittoresques: archaïsmes, expressions populaires, argotiques, néologismes. Jeux verbaux: répétition rapide de sonorités voisines, paronomases. D’où une poésie profondément orale, mais qui n’est pas un jeu gratuit. Il comporte une dimension rebelle et acrobatique.
Une remise en question fort utile d’un poète qui est loin d’être aussi simple qu’il le paraît.
On nous annonce un livre de Daniel Laroche sur la vie et l’œuvre de Norge, que nous lirons avec beaucoup d’intérêt.
Joseph Bodson