Daniel Soil, Petite Plaisance, roman, éd. M.E.O., 2016, 80 p., 10 €.
Un roman d’une seule coulée, qui arrive à rassembler en un ensemble étroitement lié les destins de plusieurs personnages en une période troublée s’il en fut, les années 1930-1950, en un style clair, limpide même, et sans fioritures: bref, un parcours sans faute pour Daniel Soil.
L’intrigue se déroule en bonne partie à Tirlemont et à Petite Plaisance, entre le lac Léman et la haute montagne, non loin de Lausanne: un clin d’œil, au passage, à notre ami Alfred Herman. Le héros principal, John, est Suisse, originaire du Locle, dans le Jura suisse, une région qui fut l’un des berceaux de l’industrie horlogère, mais aussi de l’anarchie en tant que théorie politique. Et ce n’est que l’une des nombreuses contradictions qui vont le déchirer: son goût de l’ordre, de la justice sociale, sa pitié pour les humbles. Il aura parfois du mal à suivre les méandres de la politique du parti communiste, après s’y être rattaché, et finira par se laisser convaincre par la propagande nazie.
Et ce sera le drame de ceux-là qui, nombreux, ont embrassé le national-socialisme par pure conviction, et qui, une fois la guerre finie, devront payer durement leur erreur. Cadre supérieur d’une firme allemande, il fera souvent le voyage entre Tirlemont et la Ruhr, et aura une liaison avec une jeune Allemande, qui périra dans un bombardement, et dont il recueillera la petite fille. Il sera beaucoup aidé par son épouse, une femme exceptionnelle par son charisme, et par un ami qui le soutiendra lors de son emprisonnement à Huy.
Un drame humain – plusieurs drames, car chacun de ces personnages vivra ces péripéties, les intériorisera à sa manière, pour repartir dans la vie. Un livre captivant, par l’art du récit, sobre, clair, porté par un style d’une grande justesse. Et surtout, surtout, un livre porteur d’optimisme, sans aucun angélisme: rien que cette idée simple, que rien n’est jamais perdu, jusqu’à la fin. Un proverbe arabe dit que Dieu écrit droit avec des lignes courbes. Nous aussi, sans le savoir, parfois, nous nous efforçons d’écrire droit, même si notre ligne ressemble le plus souvent au vol d’une libellule au-dessus d’un étang. Au-delà de toutes les contraintes de lieu, d’époque, d’origine, il nous reste une part, si infime soit-elle, de liberté.
Joseph Bodson