Françoise Thiry, Sous le rideau, la petite valise brune, roman, M.E.O, 202 pages, 17 euros

« Sous le rideau, la petite valise brune » est un témoignage poignant, un récit autobiographique.
Françoise Thiry, née au Burundi à l’approche de l’Indépendance, métisse, a été arrachée à sa famille maternelle à 6 ans par l’Église catholique et emmenée en Belgique pour y être adoptée.

Le livre retrace l’ histoire de « cette enfant de la honte » née d’une mère burundaise et d’un père belge « anonyme » (un ingénieur marié et père de famille chez qui elle était employée).
Nous suivons le parcours de Jeanne depuis son arrivée à l’aéroport de Bruxelles, avec une petite valise brune qui l’accompagnera sa vie entière ; son adoption par un couple belge (une mère aimante, un père non-voyant autoritaire et omnipotent), son adolescence, et enfin, sa vie de femme.

Elle éprouvera, jusqu’à leur mort, une réelle affection et de la gratitude envers ses parents adoptifs, malgré l’incompréhension réciproque, malgré son assimilation « forcée », qui ne cessera d’exiger qu’elle raye de sa vie, son passé, ses vrais parents, son pays. C’est que, pour les parents adoptifs, il faut « faire comme si », malgré « le poids de la trace indélébile » de la couleur de la peau de Jeanne.

Le livre est la longue et difficile quête de Jeanne à la recherche de son identité véritable, le récit du combat douloureux entre la nécessité de s’assimiler au pays de l’adoptant et l’appel pressant de ses origines, de sa « part clandestine ».
La toute première page, en prologue, résume d’ailleurs à elle seule le point central du récit. En Jeanne, s’affrontent dans un combat « titanesque » ses deux parts d’elle-même : sa part blanche, qu’on la force à faire prédominer, qu’elle-même s’efforcera de faire triompher, c’est-à-dire en oubliant systématiquement, avec détermination, jusqu’à la nier complètement, sa part noire.

« Quel avant? Il n’y a pas d’avant, je suis née dans un avion, à 6 ans! »
« Le premier exercice qu’impose l’esprit pour que s’installe l’oubli, c’est d’apprendre à regarder sans se voir, à rendre flottant le corps réel pour imprimer l’image à venir. »

Cette vraie part d’elle-même, la noire, lui parle pourtant, tout au long de ces pages . Le « je », est cette part enracinée au Burundi, qui s’adresse directement à sa part blanche par un « tu » qui, inlassablement, l’appelle, tente de la convaincre peu à peu, et de reconstruire sa vie d’avant ses 6 ans. Elle finira par s’imposer.

« Tu te mens jusqu’à croire que ce corps de naissance ne t’appartient pas. Tu décrètes qu’il n’a même jamais existé. Il t’en faut, de la détermination, pour t’ajuster à cette autre, te travestir en habits façonnés par les mains nourricières. »
« Les qu’est ce que je fous ici résonnent sous le rideau, tandis que moi, j’attends que tu te réveilles. »
« Au-dedans, tu te vis comme une machine à reproduire les mots, les comportements extérieurs, tout en gommant jusqu’à mon souvenir. A vrai dire, tes boulons commencent à rouiller. Tu tentes vaille que vaille à ne pas finir en pièces détachées. »
« Ainsi je dégrafe peu à peu les lacets du corset qui t’enserrent depuis si longtemps, pour sentir enfin tes muscles et tes os ondoyer et se mouvoir sur un tempo très, très lointain, mais si familier. »

Le livre traite du problème douloureux du déracinement. Il aborde aussi sans beaucoup de compromission, mais de façon lucide, les facettes un peu obscures de l’adoption d’enfants provenant en particulier de pays lointains, de la certaine part d’égoïsme qu’il y a chez certains adoptants, de leur désir, plus ou moins avoué, d’effacer les « différences »…

Un beau livre sur la recherche d’identité, et sur le combat contre l’oubli.

 

Martine Rouhart