Jean-Luc Fauconnier/Jacques Raes, Coquia èyèt Mésse Coq – V’ la l’ quate, BD, éd. El Bourdon
Je ne sais ce qu’il faut davantage admirer, de l’à-propos des textes qui nous sont ici présentés, ou de la vivacité et de l’à propos des dessins qui font corps avec eux…
Le principe en est simple: l’apprentissage du wallon par la bande (dessinée), il ne faut pas être grand clerc pour s’en rendre compte. Mais il faut souligner la vivacité, la bonne humeur de ces dessins, qui font remarquablement corps avec le texte. Quant au texte lui-même, c’est un peu plus subtil:c’est toujours le Coquia qui livre, et Mésse Coq,qui tient la place du Grand Mitan,: ensuite le Coquia – en P’tit Mitan, traduit en wallon le français châtié du Grand, et puis monte à la corde pour donner la traduction en français de ce qu’il vient de dire en wallon. Cela peut paraître compliqué, mais ne l’est pas: pour l’apprenant, il suffit de lire les textes en wallon (caractères gras), avec, éventuellement, la traduction en français courant, qui vient toujours en dernier lieu.
Pourquoi ces détours, me direz-vous? Etait-ce bien nécessaire? Eh bien, oui: pour bien saisir le génie d’une langue, il faut – aussi – s’habituer au « génie » des sujets qui la parlent: or, il est certain qu’il y a d’une part décalage entre le français châtré (pardon, c’est châtié que je voulais dire) et le français courant; et d’autre part, décalage entre le français – langue autrefois de la noblesse et de la bourgeoisie – et le wallon, langage du peuple. Et pour servir la cause du wallon, il est encore et toujours nécessaire de démontrer que le wallon, langue du peuple, n’est pas nécessairement vulgaire. Et que de plus, sa méconnaissance peut être la source de graves malentendus. On me permettra de rappeler une anecdote de mes années de collège. Les malades devaient se rendre à l’infirmerie, où avait lieu, en présence de la soeur infirmière, la consultation du docteur Kaisin. Un petit vieux tout ridé, qui ressemblait un peu à Nehru, avec son bonnet blanc et rond sur la tête. Un gamin de 6e s’y présente. Le docteur, qui pinçait un peu son français, l’ausculte, et lui demande: Eprouvez-vous des douleurs, lorsque j’appuie sur votre abdomen? Le gamin secoue énergiquement la tête de droite à gauche. La bonne soeur, qui connait l’apôtre, interprète: Tu as mal quand on pousse sur ton ventre?, et un oui!!! tout aussi énergique lui répond. C’était un début d’appendicite. Et voilà, vous avez compris l’une des lois élémentaires de la linguistique.
Que vous dire encore? Jean-Luc fait un usage très judicieux des proverbes, des spots en wallon, et le dialogue y gagne en vivacité et en coloris, sans prendre la moindre touche de pédantisme. Il se sert parfois du truchement de Mésse Coquia pour faire un clin d’oeil à ceux qui aiment, quand même, un peu d’érudition, et de la plus fine: Ainsi, à la page 35, cette critique de certaines musiques qui nous assourdissent: Ces foutriquets hypoacoustiques qui hantent la cacophonie des festivals estivaux ne lassent pas de m’ exaspérer, ce que commente Coquia: Po l’ cé qu’ c’èst s’ gout, du brin d’ poûye, c »èst dèl crinme (que l’on aurait dit à Nivelles:: Chacun s’ gout, dit-st-i l’ poûrcia qui mougnèt do stron). J’ai particulièrement apprécié, à la page 28, sur une idée de Pierre Arcq, l’adaptation de la Parabole des aveugles, de Bruegel, où l’on reconnaît même l’église de Pede Ste Anne.
Joseph Bodson