Jean-Luc Werpin Testament des mots éditions Jacques Flament (2024, 10 euros, 72 pages)

Voici donc quelques mots testamentaires pour un recueil bien vivant posant, notamment, la question de la place du mot par rapport à l’être : « les mots sont ce qu’ils sont/ et ce qu’ils ne sont pas/ souvent aveugles ».
On reconnait Jean-Luc Werpin à sa modestie : « là entre arbre et lumière/ accrocher/ au papier/ quelques banalités ». On sait le poète méticuleux à vouloir dire, l’imaginant facilement déchirer jusqu’au mot juste, l’auteur également passionné d’haïkus, sachant aller à l’essentiel avec quelque chose de la « substantifique moëlle » de Montaigne activant parfois ses neurones.
Le son lui est favorable et un détail peut l’inspirer : « un matin/ j’ai écrasé une mouche/ une moche mouche/une grosse moche mouche/que c’est moche/une grosse moche mouche écrasée », le propos poétique me faisant penser au splendide poète Norge.
On devine, derrière les mots, l’auteur à l’affût du temps qui passe tandis que le ton, parfois faussement anodin, ne me paraît pas dénué d’humour même quand il fait allusion aux vers de Rimbaud : « on n’a plus dix-sept ans/ni les mains dans les poches/ entre sommeil et veille/la vie est pointillée/on est bien trop sérieux/à l’instant du départ ».
Ramenant l’expression du peu à la monumentale gloire espérée, il remet le mot à sa place : « héros/un monument/ et se dire/ héros/ un mot nu ment ».
Obsédé par la montre, le temps présent lui va comme une aiguille lente à une grande et vieille horloge : « on m’a demandé l’heure/ je ne l’ai pas donnée/ le temps est si précieux/ je le garde pour moi ».
Avec son « fragile moineau/ j’ai si longtemps jalousé/ le haut vol de l’aigle », comment ne pas penser au texte « L’albatros » de Baudelaire ?
L’auteur dit vouloir « se fondre dans un oubli pérenne » tandis que rappeler l’oubli attire d’autant plus l’attention sur la présence.
Jean-Luc a le mot en bandoulière comme on promène un animal de compagnie et les mots lui seront sans doute fidèles bien au-delà des horloges.

Patrick Devaux