Jean-Marie Kajdanski, Èd Finès Forches, poèmes en picard, avec traduction française, préface de Julien Noël, éd. Tétras-Lyre, De Wallonie, 2022, 67 pp, 14 €.
Une sorte d’épicurisme goguenard et bon enfant. Une indifférence aux grands sujets, aux belles envolées pour privilégier les détails, les mille secrets de la nature. Minimalisme? Non. C’est d’autre chose qu’il s’agit. Le « petit », ici, le minime, même, est associé au « grand », qui n’est lui-même que l’agrégation d’une foule de « petits ». Nous ne les voyons d’abord pas, parce que nous sommes sourds et aveugles, parce que notre attention se porte ailleurs.
Cette attention que nous avions perdue – ou qui nous avait été enlevée par le bruit du monde, – nous ne pouvons la retrouver qu’en portant avec nous la paix, le calme. Paix sur les champs, comme disait déjà Marie Gevers. Cette attention une fois recouvrée, le reste nous sera donné par surcroît. Ainsi, p.27 :
Lès pas sont pèsants, èminnés /Minme lès bruts sonlèt mådjinés. Lès håyes ni motihèt pus nole, / Lès ouhès n’ minèt pus l’åriole. / On rèw såye bin inütilemint / Dès cayewês can’dôzer lès rins, / Si-êwe diminowe èt pwis s’èdwème / Come on cwate-pèces qu’apïce li flème !
Les pas sont pesants, maladroits, / Même les bruits semblent imaginés. / Les haies sont muettes, / Les oiseaux ne chantent plus./ Un ruisseau essaie bien inutilement / de caresser les reins des galets, / Son eau diminue puis s’endort / Comme un lézard qui attrape la flemme !
Il s’y mêle çà et là une sorte de candeur, dans le regret de la jeunesse passée, ainsi p.32 :
Qui d’mone-t-i asteûre / Di cès-annéyes là ? / On sonlant d’ saweûr / Et on vî tchèna !
Que reste-t-il maintenant / De cès années-là ? / Un semblant de saveuir / Et un vieux panier ?
Mais cette solitude, qui constitue la toile de fond, et la condition reconnue de cette tranquillité dont nous parlions, n’est pas faite de solipsisme, mais de solidarité. Cette solidarité même qui au cœur des choses et des êtres rend la vie vivable. Comme le disait naguère Georges Bouillon, L’arbre le plus solitaire n’est jamais seul.
Ainsi, en cette seconde partie du recueil, Fét d’ivêr,où il décrit la misère des abandonnés, des plus pauvres :
Tréts érsakés dèl misére / noyô d’ cérîje / rakié d’sus l’ grébion / gale ôs dints / casaque as férlokes
Traits tirés de la misére / noyau de cerise / craché sur le trottoir / faim canine / veste dépenaillée (p.54)
Et n’est-de pas là la grandeur et la misère de l’homme, et par voie de conséquence la grandeur et la misère de la poésie, dans le sens le plus élevé de ce mot ?
Cha s’ra no dérnier cop / mès ténir tértout ‘ insan.ne / chufièle monviå à plint goyé / ameûte tés-amisses / âbres bokéts brins diêrbe
Dernier combat / mais tenir tous ensemble / siffle merle à gorge déployée / rameute tes amis / arbres écureuils brins d’herbe (p.38)
Mais n’est-ce pas là l’ombre de Walt Whitman qui se profile au bout du chemin ?
Joseph Bodson