Jean-Marie Kajdanski, Paroles d’iô, poèmes, Micromania. Illustrations: Marie-Line Debliquy.
Un recueil qui est à marquer, selon nous, d’une pierre blanche. Non que les précédents lui soient inférieurs, mais parce que l’auteur y consigne, nous semble-t-il, l’expérience et le sens de toute une existence. Sous le signe de l’eau, vue et conçue de différentes manières. Une foule de notations de toute sorte, visuelles, auditives, qui forment une sorte de grand brouhaha, mais un brouhaha tissé de mille détails très précis, très aigus. Des perceptions très aiguisées qui se détachent sur une toile de fond foisonnante et toute bruissante.
d’dins lés durs moumints/èj’ freume més-ieus,//èj pinse ô vint/gône ét vért//qui gliche èd’dins l’ pré/un matin à lés biôs jours. ( dans les moments difficiles/je ferme les yeux//je pense au vent/jaune et vert//qui glisse dans le pré/un moment de printemps. (p.13.)
La nature n’est pas ici, comme chez les romantiques, un prétexte au souvenir, mais une façon de se ressourcer, de se remettre dans le grand courant de la vie. D’où reprise en mains de soi-même par le travail: la meilleure façon de se retrouver dans le courant. On y notera aussi, comme à la page 19, un certain panthéisme, de fusion dans le grand tout, avec l’eau, qui est comme une seconde naissance. Mais (p.25), l’eau peut être aussi néfaste, cause de désastres. Notons aussi la grande richesse du vocabulaire, et l’alternance d’eaux plates et d’eaux vives, joyeuses à l’image de la vie, p.33:
éj crinche dés dints/jè m’ rincafougne//pouyon épeuté/à court d’alin.ne//cha dévale à l’ grande dadale/èj m’èskète//abile abile més patûres/més sôs,més rosiôs (je grince des dents/me pelotonne//poussin apeuré/essoufflé//ça déboule à la vitesse grand V/je me fracasse//vite vite mes prairies/mes saules mes roseaux)
Avec toujours cette image de la vie qui nous emporte comme un fleuve, et, p.40, l’opposition du vertical à l’horizontal. Mais nous ne sommes pas seuls, et voici, p.51, ce superbe poème qui l’exprime:
rieu mémwåre/si t’ sarwas/tous lés ceûs ét lés ceûles/qui-ont chi passé/ouvériés cinsiés frôdeûs//j’intins leûs vwas, leûs pas/èt j’ wa leûs visåjes/dés fwas j’ leû pale//lés jins i viét’tè, i s’in vont//i rind’tè l’anme/két’tè d’dins l’obli//dés-imåjes/sins silabére//èj su d’dins més souvenances/ène tristesse à l’ bordée dèl doûcheur. (rieu mémoire/si tu savais/tous ceux et celles/qui sont passés en ce lieu/ouvriers/fermiers/fraudeurs//j’entends leurs voix, leurs pas/ je vois leurs visages/des fois je leur parle//les gens viennent et vont/rendent leur dernier souffle/tombent dans l’oubli/images sans légende//je suis dans mes pensées/une tristesse aux confins de la douceur).
Et p.60 encore, un très beau texte, en pleine maîtrise de soi, de ses moyens, pour évoquer le passe-temps de la vie, la vie comme passe-temps. On a envie de le paraphraser, en disant comme il le fait que la poésie, en ce recueil, ch’èst l’ grande ducasse.
Les illustrations de Marie-Line Debliquy sont aussi discrètes qu’évocatrices.
Joseph Bodson