Joseph Selvais, Au pîd dès plopes, SLLW, Littérature dialectale d’aujourd’hui, place du XX Août, 7, 4000 Liège
Joseph Selvais est né en 1932 à Seron (Hemptinne), au plein mitan de la Hesbaye, entre celle de Namur et celle de Liège, et son wallon namurois est donc teinté de liégeois. Mais il n’y a pas que le vocabulaire et la grammaire: son accent lui-même (L’accent de ma mère, comme disait Michel Ragon à propos de la Vendée) est celui de la Hesbaye, et son caractère, même, qui passe dans le tempo du récit. Cette Hesbaye, si calme en apparence, dans l’assoupissement des étés champêtres, aussi bien que les prairies inondées de l’hiver, appelle ces longs récits qui semblent ne point progresser, et puis soudain se dévoilent, et révèlent bien autre chose que ce calme illusoire des paysages tranquilles. La profondeur même de l’âme paysanne – car, n’en déplaise à nos aimables citadins, les paysans aussi ont une âme, et un humour itou, mais différents. Des différences qui ne s’apprennent pas dans Assimil…
Rêvez un peu, c’était au temps où il n’y avait pas encore de télévision…A quoi passaient donc les longues soirées d’hiver? On jouait aux cartes, on racontait des histoires…Les loups ne sont plus là? Allons donc! Allez un peu voir à Li rouwale dès leups, parcourez un peu les Vîyès Vôyes…Et puis, il y a les caractères marquants, ceux qui laissent leur trace dans la tradition, et qui auraient pu entrer, s’ils étaient grecs ou romains, dans les Caractères de La Bruyère: Adelin l’Gorlî, qui officie aussi en tant que coiffeur, pour une mastoke, quasi rien (chez moi, c’était le facteur), mais qui a la langue bien pendue: le plaisir, ça vient après la peine. Le cousin Ferdinand, cousin aussi de l’Avare de Molière. Marcel et Valère, moitié Hemptinnois, moitié Martiens. Bien sûr lès craussès-eûréyes ne sont pas loin non plus, et vous sortirez de ce livre avec l’envie de goûter aux sorèts qu’accompagnent les petites pommes de terre en chemise…Je les entends encore frîler au-dessus des braises…
Enfin, moi, je vous dis tout ça, et je n’ai rien dit. Vous en prenez ce que vous voulez. Tout cela, ce n’est que le calme illusoire…Le fond du problème, le coeur de l’affaire, il perce çà et là, comme par mégarde: les yeux qui s’embuent, la voix qui se voile, ce mélange subtil, de tendresse et de tristesse: cet amour d’un pays, d’une région, de ses habitants, de nos tayons et ratayons… et qui donc, mieux que Joseph Selvais, avec son humour, sa délicatesse, sa retenue, pouvait nous y introduire?
Alez! Timps d’è raler, savoz ç’côp-ci! Lès bièsses nos ratindenèt…Èt nos sèrans co taurdus po soper!…
Joseph Bodson