Martine ROUHART, Proche lointain, Dricot, 2016, 156p., 14€.
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Voilà un bien beau roman sur le thème délicat d’une amitié en souffrance.
Le narrateur marié avec Judith , père d’une grande fille Claire, entretient avec Jean-Louis une amitié, née par le plus grand hasard, vingt-trois ans plus tôt, au coin d’une terrasse.
Les amis ont tout partagé : sport, discussions, sorties. Et puis, un événement révélé au narrateur va tout faire basculer : est-il possible de voir s’effriter une si belle amitié ?
Le grand mérite de l’auteur de « Séparations » est de nous immiscer au sein d’une relation dense, très féconde, entre deux hommes que bien des idées séparent. Oui, ils se sont appréciés et aimés très vite, ont eu l’impression de gagner grâce à l’autre, de grandir.
La révélation ultime de ce court roman qu’on lit avec intérêt et sensibilité, nous interroge sur le devenir de toute relation de qualité : savons-nous tout de l’autre ? faut-il pardonner ? sommes-nous insensibles aux défauts de l’ami ? Le roman, bien charpenté, chronologiquement et thématiquement, tente de répondre à ces questions sans nous les assener.
Les sentiments sont traités avec suffisamment de pudeur et de recul, et la place qu’ils peuvent prendre dans l’âme du narrateur nous étreint fortement. Un ami compte beaucoup, quoi qu’il ait fait. La chute du roman, qui démarre sur un autre récit, ménage bien des surprises, et est bien à l’aune du talent de l’auteur qui a décrit remarquablement les liens si forts, si proches, si lointains entre deux hommes, sans une once d’ambiguïté. Aimer l’autre n’est pas si aisé, et l’écrire, sans tomber dans la mièvrerie, n’est pas un simple exercice de style.
Les qualités de style de la romancière subtile de « Séparations » explosent ici : pas un mot de trop, pas une once de facilité ni de sentimentalisme. Seule la vérité du cœur parle, et la lecture de ce livre peut être un baume pour toutes les amitiés perdues.
Un bien beau livre. Sensible et dur. Comme une amitié qui vit et s’interroge.
Philippe Leuckx