Nadine Monfils, Elvis Cadillac, King from Charleroi, Fleuve Editions, 2016.
L’auteur prolifique belgo-montmartroise nous propose un nouveau phénomène, haut en couleurs et en coiffure : Elvis Cadillac Sa jeunesse carolo n’a pas été de tout repos. Abandonné par sa mère, laquelle avait déjà jeté sur le trottoir son mari, le gamin sera recueilli par une famille d’accueil et se lancera plus tard dans un curieux métier, sosie du King Elvis Presley… On le retrouvera au cœur d’une sombre histoire de famille et d’assassinat, alors qu’il n’avait été invité chez les de Montibul que pour chanter Blue Moon à l’intention de la doyenne. L’histoire est rudement cravachée par petits chapitres cinglants et descriptions corsées des protagonistes aussi pitoyables les uns que les autres. Le lecteur ne s’ennuie pas, cherche le ou les coupables comme dans tout bon policier et découvre avec ahurissement que dans cette smala minable et sans loi se cache une lectrice de Camus, de son premier roman tout spécialement, La Mort heureuse, la version, non publiée de son vivant, de L’Etranger. Le recours à ce livre peu connu permet de mieux comprendre l’état d’esprit de la vieille dame atypique de la tribu et, par recoupement, du jeune Elvis qui apparaît ainsi beaucoup plus intéressant que la galerie de pitres qui s’entredéchirent dans le récit. Si le roman se lit à belle allure, que dire du langage provocateur utilisé par Nadine Monfils ? La langue verte de Fréderic Dard en rougirait car ici la louche est devenue l’instrument favori de l’auteur. Argot, verlan, belgicisme, wallonisme, bruxellois, anglais, italien, tout y passe dans un mélange bourratif qui fera hurler les amateurs de beau langage et s’esclaffer probablement les joyeux lecteurs d’un soir. La romancière n’en rate pas une et si le gros mot est croustillant ou dégoûtant, elle le choisira de préférence à tous les autres. De petites notes en bas de pages nous informent, sur un ton fort familier, sur le sens caché des expressions belges en particulier, ajoutant de la sorte une manière d’exotisme de proximité ou de curiosité excitante pour le public français. Trop is te veel, lui répondra-t-on, en restant dans le même registre. On peut se plaire en fréquentant des personnages populaires, comme chez Simenon, Baillon ou Joiret, entre autres, mais beaucoup moins s’ils s’expriment systématiquement avec la plus grande vulgarité. Avec une telle imagination et une si leste facilité d’écriture la romancière pourrait nous captiver ou même nous émouvoir tout autrement…
Michel Ducobu