Philippe Cantraine Devant la grande patience poèmes éditions Caractères (2024,87 pages, 15 euros)

Est-ce un état des lieux quand Philippe Cantraine nous dit : « Je ne veux pas en rester là non plus/sans appel à regarder finir ce jour J’aurais tant à/dire » ? Pressé par le quotidien le poète mêle-t-il le quotidien aux réflexions et idées quand surgissent les questions essentielles de la vie et de la mort tandis que la réflexion vaut tellement pour lui quand il écrit : « C’est dans mon cœur que je /parle/Je suis sans voix » tandis qu’un sourire le ramène à espérer « en cette heure où tout vacille » ?
Sensible aux déluges et aux canicules, le constat peut être amer avec « l’incurable fin programmée/ des hautes futaies ».
La poésie deviendrait- elle alors un travail de mémoire de l’être placé quelque moment sur une sorte de pause sans pour autant parler de bilan ? Comme souvent, la nostalgie se souvient de l’enfance et, bien sûr, le livre y joue un rôle essentiel : « C’est quand les mains/finalement maîtrisent les/ pages que pour toujours/la braise d’un gouffre luit/ au fond ».
En deuxième partie du recueil, avec le jour s’achevant (« Terminaison du jour »), l’auteur exacerbe une page ultime avec le recours de la poésie : « Une page ultime attend de bon gré. Me garde sa porte. Poème, tu m’y conduiras tantôt par la main ».
Recueil entre lumière et foudre empreint d’une grande lucidité…
Malgré les tâches humaines au « goût d’asphalte » et les « arsenaux (qui) charbonnent », le poète continue à croire au persistant « chuchotement de la sève ».
Avec le temps qui passe si « la cendre paraît tout ignorer de son feu » on peut sans doute continuer à danser dessus ( cette réflexion me vient d’un extrait du seul recueil de poèmes de feu la poète Kathleen Van Melle ( 1964- 1988) « Un flot d’étoiles troublée » avec ce vers « Ce n’est pas sur des cendres que nous allons danser ».
Avec « Apostrophes » semble surgir l’éphémère : « Page d’écume à écrire ! Je sais seulement qu’un torrent en a plus la force que moi ».
L’auteur s’adresse-t-il à quelqu’un ou lui-même quand il écrit : « tu repars de zéro moins tes pertes » traçant ainsi la continuité de la démarche dans son temps personnel qu’il soit révolu ou à prendre ?
Avec « la montée des eaux », dernière partie du recueil, Philippe dénonce, en évoquant la perte d’Yves Bonnefoy, une poésie devenue « sédentaire/…/écran fermé ». Heureusement que certains sont encore à l’écoute de celle-ci !
Parmi d’autres sujets en prose, l’auteur évoque notamment Salluste et « La guerre de Jugurtha » ce qui lui permet de donner un avis circonstancié sur ce qu’y dit l’auteur romain.
Le recueil entier est un superbe travail de mémoire. Idem quand l’auteur rappelle la Wallonie avec ce brillant extrait : « Meuse/…/ Peut-être le sentiment d’un veuvage les anime-t-elles, mais c’est comme une descendance de mariées que ces villes traversent les régions de la mémoire/flamme en tête. Quoiqu’il y ait pâti l’homme s’y est toujours trouvé chauffé. Leur ciel, pourtant pluvieux, garde les yeux sur le cœur et fait pousser le grain. Pendant ce temps, le fleuve force, le temps passe ».
Le titre du recueil est pressenti en rappelant Tolstoï : « Devant la grande patience, il y a Tolstoï tout entier », rappelant l’Histoire avec un grand H. C’est que la poésie peut avoir de grandes sources avec les mots pour issue.
Patrick Devaux