Philippe Leuckx, Maisons habitées, poèmes, Bleu d’encre éd.
Un beau titre, pour une réalité profondément vraie. Une maison habitée, alors que tant d’autres maisons, qui semblent habitées, au sens « légal » du terme. restent dans l’anonymat. Et dès les premiers vers, « j’assume mes
greniers d’enfance’, le sens se décante: le centre de la maison, c’est d’abord le grenier, avec toute sa part de mystère, ses trésors de joies et de souffrances. Et il ne s’agit pas, pour y retourner, d’un simple trajet, mais bien d’une sorte de catharsis, par l’eau, les astres, l’arbre. Une célébration du quotidien, qui est aussi et d’abord une pénétration, un approfondissement du quotidien. Et tout cela dans un style dépouillé, austère.
Il passe à la seconde personne, p.14, pour égrener quelques louanges sur sa ville: Elle existe en plein cœur/ Elle est in épuisable./ Ses réseaux sont poèmes. / Son nom naît d’une ferveur./ Son chant d’une solitude. Des vers brefs;, un style haché, qui donne à l’ensemble son air de litanie, où les termes abstraits se mêlent aux concrets: ainsi en est-il de la réalité où nous devons vivre, que nous devons créer et accepter pour que la vie, simplement, devienne vivante, et que la poésie y trouve libre jeu. Et il dira, p.16: C’est un jour ordinaire qui s’est soucié de nous.
Et aussitôt après, p.17: Ma poésie je crois a puisé à la terre natale (un beau terme qu’avait donné Marcel Arland à un de ses recueils de nouvelles, remarquables elles aussi par leur simplicité. Et, après l’énumération de ses trésors: Ma poésie vient de cet enfant-là. C’est bien donc comme un coffre au trésor que le grenier, la maison ont été conçus, et que nous les visitons avec lui. Mais ce trésors sont fragiles, et c’est notre être lui-même qui risque de s’y perdre, s’y élimer, à l’usure des jours. On passe des doigts vieillis sur les tempes, p.18. Et la vie va ainsi, entre le sombre et clair, devant nous, spectateurs plutôt qu’acteurs. C’est un pays navré/si le jour baisse.
Et bien souvent, le dernier vers, nouant la gerbe, contient lui aussi une injonction à vivre, à continuer, au milieu de ces brèves notations concrètes, jamais insistantes, auxquelles le poète nous a habitués. Ainsi, dans le dernier poème, l’emploi du futur simple vient-il concrétiser et renforcer le sens même du recueil: Tu recueilleras la moindre trace/Qui révèle au grand jour/Sa douce mesure de miracle.
:Tu recueilleras la moindre trace…ces trames infimes qui rendent la maison habitable et habitée, et l’air respirable.
Joseph Bodson