Pierre Dailly, « Le pays traversant », Merlin, Les Déjeuners sur l’herbe, 2017, 124 p.
Un titre à double entrée : parcours à travers un pays qu’on traverse en le découvrant ou pays qui nous convient si bien qu’il finit par nous habiter en nous traversant. Pour Pierre Dailly, homme venu de la Sambre vers les contrées d’Escaut, il s’agit sans doute des deux interprétations. Alternativement cycliste et piéton, il patrouille sur ses berges, attentif à la flore autant qu’aux nuages, lui-même inséré entre terre et ciel.
Le paysage est « enchaînement en successions de limites et d’étendues ». Il est replié puisqu’il s’agit d’un territoire familier, un peu refermé sur lui-même ; il est passage puisqu’il amène à de continuelles découvertes naturelles, météorologiques, humaines. Ce livre est une « Troublante invitation à suivre une voie /qui s’ouvre sur le monde et se referme sur moi ». Il se situe entre le besoin de s’échapper et le désir de s’enraciner, entre le commencement et le dénouement.
L’écriture de Pierre Dailly affectionne les ellipses. Il vaut mieux, en effet, ne pas trop en dire, afin que le lecteur s’empare des non-dits et y apporte son ressenti personnel. Ainsi la poésie nourrit-elle l’imaginaire. Ceci prend parfois une tournure de haïku attestant la pérennité de l’environnement et la modernité du progrès :
Autres indices
de traversée :
le rond-point
Et le pont nouveau
très orphelin
sous forme de fracture
à grande vitesse
Le poète brasse de la sorte des images fortes : « Brament quelques potiches industrielles sur la tablette des jours sociaux » et, plus loin, «Les chemins confient leurs secrets / aux potences électriques » qu’on associera avec « Il y a des chemins qui vont si loin / que la rumeur de leur naufrage / est marée courante ». Des adjectifs suscitent des écarts créatifs : « une lumière convalescente », « pays insinué dans le lointain », « des sentiers débraillés », « la belge annonce du soir », « à cheval sur un verbe bleu »…
Quelquefois surgissent des formules proches de l’aphorisme que Michaux ou Guillevic n’auraient pas désavouées : « Nul n’est meilleur / guide que mon ombre » ou « Il ya toujours bien une fleur / qui donne l’exemple », voire « La route / célèbre d’autres routes / que j’ignore » et encore «Lovés dans la chute / on se reconstruit en cours d’avalanche ».
Dailly passe avec aisance du vers libre à la prose. Il offre des textes à se mettre en poche lorsqu’on arpente les berges du fleuve ou d’un cours d’eau et les sortir, après s’être assis, pas loin du défilé des péniches ou des bateaux de plaisance, au beau milieu des verts des plantes, sous les nuages, en quêtant des réponses à des questions qui n’en auront peut-être jamais.
Michel Voiturier