Pierre Schroven, La merveille d’être là, Amay, Arbre à Paroles, 2024, 68 p. (13€)

Se découvrir pour illuminer sa vie

Pierre Schroven, au fil de ses publications poétiques, a toujours été un poète du « je ». Mais il n’a pas pratiqué ce pronom à l’instar des romantiques en train d’exposer leurs sentiments, leurs états d’âme. Il s’agit pour lui, et sans doute est-ce à cause de cela qu’il y a chez lui une recherche philosophique, de se comprendre et d’être en harmonie avec la vie.

Ce recueil- ci est un aboutissement d’une quête entamée à travers ses ouvrages précédents. Son titre suggère l’étape où le poète est aujourd’hui parvenu : « La merveille d’être là ». C‘est un constat. Ce devrait être celui de chacun. Mais notre monde actuel se voit dépassé par l’envahissement accéléré de technologies à la limite du gérable. Malmené à travers les soubresauts de démocraties usées par des idéalismes inaccessibles et des tyrannies aveuglées par leur obscurantisme. Livré aux exutoires de violences inoculées par du mal-être contagieux.

De surcroit, nous ne prêtons plus guère assez attention à cette réalité universelle : si nous sommes vivants, c’est un prodige. Sur les milliards de milliards de milliards de spermatozoïdes en quête d’ovules, combien se transforment en embryons ? et combien de ces embryons deviennent des bambins viables ? et combien parmi ceux-ci, tous issus de la fusion de deux cellules ensuite surmultipliées et différenciées, se retrouvent indemnes de malformations ou de maladies ?

Pierre, étant humain, possède comme tous les autres humains, cette faculté unique chez les êtres vivants : il perçoit la durée, le temps. Cette faculté permet d’une part la perception que toute vie est éphémère puisqu’elle se termine par la mort, d’autre part de réfléchir au sens qu’il convient de donner un sens à son existence afin qu’elle ne réduise pas à cette absurdité fondamentale : nous sommes présents pour disparaître. Son écriture traduit cette quête.

Penser
Ce n’est pas rêver
Ni faire le point
Penser c’est vivre
Participer à l’être (p.24)

« Penser c’est L’instant qui fait peau neuve » (p.10). Il ne s’agit donc nullement d’intellectualiser une démarche mais bel et bien d’agir. D’abord connaître son sujet, autrement dit soi-même. Il a besoin de savoir. Pour cela, il « pousse des portes / Qui mènent dans la rue/ et d’autres je ne sais où, il Transforme l’instant en caresse / l’heure en braise »(p.21). Car il se méfie des gens qui ne sont que « paroles / Peuplent leur ciel d’idoles / cumulent les utopies » (p.15). Il préfère se construire comme quelqu’un qui mettra « son espérance dans un langage / Qui avance dans l’ignorance de tout » (p.12).

Il se comporte de façon telle qu’il suscite un lien entre la nature et lui. Il se prépare à – quel dynamique verbe !- « dévaler le présent »(p.18). Il portera son attention sensorielle vers le ciel, le soleil, la lune, des étoiles, des arbres, une rivière ou un torrent, voire une vague ou de la pluie, des vents, une fleur, des fruits… Du règne animal, il choisit les oiseaux. Ce qui relie cet environnement et son corps, c’est la respiration, manifestation par excellence de la vie.

Pierre est parcimonieux en métaphores. S’il participe à la littérature, ce n’est ni par images interposées ou suscitées, ni par des impératifs comminatoires mais plutôt par des infinitifs incitateurs d’actions. C’est qu’il avoue croire, comme l’écrit Crickillon dans « L’indien de la gare du Nord », que « la poésie est efficace quand elle se refuse à demeurer plus longtemps dans l’exil décoratif, rassurant du musée de la littérature; c’est la rébellion de l’homme classé, répertorié, vidé jour à jour de son âme sauvage, comblé jour à jour de la boue des slogans, et qui fait le grand nettoyage en lui et autour de lui. »

Loin des manuels proliférant en recettes de bonheurs factices, de conseils abracadabrantesques, de slogans proclamés par des influenceuses/seurs, de jeux de hasard hypnotiseurs, le recueil de Schroven est un livre de chevet économique. Le voilà nous indiquant que « La beauté de la vie se tient prête » (p.31), « nous Mettant le corps dans les mêmes dispositions / que la lumière / Les soirs de pleine lune »(p.17). « Alentour, Rien n’est familier rien n’est anodin / Tout est miracle signe symbole » (p.28). Il ajoute « La grâce de vivre me colle aux basques » (p.67) ce qui lui permet « D’aller plus loin que ce petit bout de soi » (p.62). Tout le parcours accompli depuis qu’il a écrit lors d’un précédent livre, « Dans ce qui nous danse », « Je mesure ainsi le chemin qu’il me reste à parcourir / Pour ne pas devenir / Celui que les autres veulent que je sois. »

Il n’y a pas de conclusion car c’est la vie qui se prolonge au-delà des pages. Il y a seulement un constat, celui de réussir à se réaliser en tant qu’être humain s’assumant en tant qu’humain, ce qui s’achève seulement que lorsqu’on s’harmonise avec un ou des autruis :

Donner de l’amour
C’est avant tout
Donner de la présence au monde
Ne pas figer l’autre dans une image
Poser un geste qui rassemble
Et rend sûr un avenir de lumière (p.64)

Michel Voiturier