90 av. Demolder

1342 Limelette

D’origine chestrolaise, Jean-Marie PIERRET est docteur  en    philologie   romane.  Il a succédé  à  Willy   Bal    et André  Goosse  en  tant   que professeur de dialectologie wallonne à l’Université Catholique de Louvain.

Aujourd’hui à la retraite, continue de nombreuses activités de recherche dans le domaine du wallon. Membre du Conseil d’administration de l’A.R.E.W.

 Cinq mots du wallon de Tronquoy

(ancienne commune de Longlier)

Très jeune, j’ai appris que ce que j’appelais, en wallon comme en français, l’arc-en-ciel, les personnes les plus âgées de mon petit village de Tronquoy, dans le pays chestrolais, lui donnaient des noms que je ne comprenais pas, mais qui avaient manifestement un rapport avec la religion, plus précisément avec saint Jean : la rôye sint-Djån, la corôye sint-Djån, la crôye sint-Djån. Une rôye, pour moi, c’était un sillon bien droit, car tous les laboureurs se faisaient une fierté de tracer des sillons rectilignes. La corôye, c’était cet infâme morceau de pâte humide et serrée qui s’amassait contre la croûte inférieure d’un pain mal levé, fait avec de la farine de mauvaise qualité — c’était fréquent à la fin de la guerre ou lorsque les étés pourris ne permettaient pas de sécher l’épeautre correctement. La crôye, cela dépassait mon entendement : pourquoi donc le wallon donnait-il ce mot de crôye, qui désigne habituellement soit une craie, soit un entrebâillement de porte ou un interstice entre deux planches, à l’arc-en-ciel, que l’on nous avait présenté au catéchisme comme un signe d’une alliance entre Dieu et les hommes ? De quoi insinuer le doute chez un jeune garçon. Des personnes âgées m’avaient appris également que l’arc-en-ciel était un baromètre infaillible : la corôye sint-Djån, quand ’lle è l’ pièd a l’ êwe, c’ èst signe du pieuve “l’arc-en-ciel, quand il a le pied dans l’eau (c’est-à-dire dans un ruisseau), c’est signe de pluie”. Mais elles m’avaient surtout confié un secret, bien plus important pour un petit garçon, que des prévisions météorologiques : si l’on cherchait bien au pied de l’arc-en-ciel, on y trouverait des petits couteaux. Un canif à emporter avec soi dans la campagne lorsque l’on conduit le bétail au pré, quel trésor ! De quoi se confectionner avec des branches de noisetier ou de sureau un beau bâton, un sifflet, une sarbacane et toutes sortes de jouets. J’en ai rêvé très longtemps, mais je n’ai jamais eu la chance de découvrir le trésor. La seule chose que j’ai découverte, plus tard, c’est que la rôye n’était pas un sillon, mais simplement une “raie”, que la corôye n’était pas ce morceau de pain immangeable, mais une “courroie”, et que ce mot avait été altéré en crôye parce qu’on ne le comprenait plus. Quant à savoir pourquoi on disait que l’arc-en-ciel est la raie ou la courroie de saint Jean, c’est une autre affaire…

Le Tchôr Peûtchèt (littéralement : “char Poucet”) m’a également beaucoup fait rêver. C’est la Grande Ourse et l’on m’avait appris qu’à partir des deux dernières « roues » de ce Grand Tchôr (c’était son autre nom), il était très facile de trouver l’étoile Polaire. Peûtchèt me rappelait la formule que récitait ma mère lorsqu’elle me prenait sur ses genoux, en taquinant chacun de mes doigts : Peûtchèt, Laridè, Grande Dame, Djån d’ la Sô, P’tit Courtôd, que j’interprétais toujours p’tit coutô — évidemment ! En classe de « poésie », lorsque l’on analysa Rimbaud, je repensai au Tchôr Peûtchèt…

                  « Petit Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course

« Des rimes. Mon auberge était à la Grande Ourse. »

(…)