Thomas Gunzig, Manuel de survie à l’usage des incapables, Vauvert, Au diable Vauvert, 2013, 408 p.
Voici un roman farci de son siècle, c’est-à-dire du nôtre. Il embrasse le monde actuel dans ses dysfonctionnements sociétaux pour le brasser dans un potage amer. On l’aurait sans doute qualifié de picaresque autrefois, peut-être aurait-on rajouté qu’il est rabelaisien alors qu’on le considèrera plutôt comme un héritage de San Antonio. Il mérite au surplus, aujourd’hui, d’être étiqueté humour noir (dans tous les sens de cet adjectif). Il narre en effet les péripéties improbables d’un quatuor complètement siphonné style Dalton, né d’une cap-verdienne et dont les membres s’acharnent à venger la mort de leur génitrice.
Il y a là du polar sanguinolent, de la critique du fonctionnement économique cynique, de l’exacerbation caricaturale, de la violence façon Charlie Hebdo ou Même pas peur. La démesure est au rendez-vous de cette espèce de rodéo urbain. À partir de l’activité d’un supermarché et des dérives de son directeur des ressources humaines, tout part en vrille. Tout devient ubuesquement ‘hénaurme’ entre les forces prétendues de l’ordre et les trublions d’une anarchie flasque. Y compris une déferlante de sexe pas spécialement en relation avec de la tendresse.
Réédité en 2015 dans la collection Folio de Gallimard, cette épopée burlesque vient d’obtenir le prix du roman de la Fédération Wallonie-Bruxelles. C’est sans aucun doute mérité pour sa causticité et ses rebondissements. Ce l’est nettement moins pour ses qualités littéraires. Sans compter des kyrielles de ‘faire’ on ne peut plus fades et passe-partout, rarement en effet on n’aura vu une telle quantité de semi-auxiliaires accumulés dans des pages. Cela fourmille de ‘savoir-pouvoir-devoir-aller-venir’ suivis d’un infinitif, au point d’agacer et d’affadir les jubilantes trouvailles de style qui caraérisent Gunzig. Il est vrai que la plupart des jurys couronnent des histoires et non des écritures.
Michel Voiturier