Yves Namur, Les lèvres ont soif, élégies, éditions Lettres vives.

Le sous-titre l’annonce déjà, nous nous trouvons ici en présence d’un tournant très marqué dans l’œuvre du poète. Il nous avait habitués à un style d’une grande beauté formelle, pareil à lui-même en tous ses recueils, au risque d’engendrer parfois une impression de monotonie. Voici à présent des textes plus proches de la réalité concrète, plus humains pourrait-on dire.

Ainsi voit-on certains vers revenir comme un leitmotiv: Un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres. (p.37) Il garde, p.76-77, l’habitude de la reprise d’un thème, d’un leitmotiv, qui courent comme le fil d’un collier d’un poème à l’autre. Avec bien sûr ses propres marques, ainsi l’influence des présocratiques, sensible dans les dichotomies de type héraclitéen, p.49: dire le oui et puis le non.

Le sous-titre des parties I et II se présente comme un échange d’anneaux: L’une/un oiseau s’est posé sur tes lèvres et L’autre/un oiseau s’est posé sur mes lèvres. Un cantique à la lumière, à l’aventure: c’est l’image ronde du puits, de la source, de l’eau fraîche – il y a une sorte de symbiose entre la bouche ouverte et le chant de l’oiseau, l’image du nid et de l’œuf. Celui-ci primordial, l’origine du monde (p.55). C’est de là que jaillit la lumière. Rondeur des jours, aurait dit Jean Giono.

Il ne s’agit cependant pas de quelque chose d’entièrement nouveau chez lui, p.51: mais était déjà au-dedans de moi/ sans que je le sache vraiment. Et l’on retrouve constamment (p.56, p.ex.) la correspondance du haut et du bas, comme si c’était du fond le plus épais de l’obscur qu’allait naître la lumière la plus brillante. Il nous dira aussi, p.73: au bord du poème/ que je n’avais jamais osé écrire.

Nouvelle attitude, aussi, en face du désir, identifié à la soif: La non-soif, c’est la mort. La soif, c’est le désir. Ceci renforcé, p.79, par l’expression: le cœur aride. Et le tout culminera par le beau poème final, nouant la gerbe:

toi, l’oiseau posé sur mes lèvres//apprends-moi à parler, à chanter/le cœur ouvert et les mains battantes,//apprends-moi à écrire le poème/des saisons terribles et amoureuses,//apprends-moi à leur dire/combien est douce cette infime brûlure//d’aimer encore/et encore.

Aimer encore et encore…n’est-ce pas là la clé, l’ouverture au monde, et la source, qui va donner vie à la terre entière?

Joseph Bodson